On a vu comment en annonçant l’envoi possible de troupes en Ukraine face à la Russie le président de la République a réalisé un de ces dérapages incontrôlés qui marquent dorénavant la politique étrangère de notre pays. Une semaine auparavant il avait prétendu ouvrir le parapluie nucléaire français sur toute l’Europe. Et ainsi de suite. À peine avais-je condamné l’intervention du Président Macron, les répondeurs automatiques se mirent en action dans les médias. Il s’agissait pour eux non seulement d’absoudre l’incroyable légèreté du Président mais aussi d’en tirer une occasion supplémentaire en plus de flétrir les insoumis. Cependant dans la classe des employés médiatiques des 9 milliardaires qui possèdent 90 % des médias, beaucoup se sentaient mal à l’aise pour l’exercice. La détermination faiblit au fil du jour. Certes, le soir venu, maints conclurent la journée en bon serviteur. Mais dans une tonalité plutôt navrée. Car ils avaient dû supporter au fil du jour que tous les alliés du monde atlantiste démentent Macron. Leurs très chers amis de l’OTAN, « nos amis américains et allemands » et nombre d’autres européens de notre très chère « Europe qui protège » l’un après l’autre ont mis un vent à Macron. Pour eux, pas question de troupes en Ukraine. Même les Polonais et les Slovaques ! La diplomatie française, déjà incroyablement abîmée aux yeux du monde, a sombré ce jour-là plus profondément encore que ces temps derniers au Moyen-Orient. Mis de côté les griots et les bénis oui-oui, tout le monde dans la France des connaisseurs de la géopolitique, reste triste et consterné. À peine si Patrick Cohen a-t-il eu le sursaut de continuer à calomnier l’opposition selon l’habitude. Elle serait selon lui « plus ou moins Poutinienne ». Lui est tout simplement un atlantiste sans complexe. Ce qui est bien son droit mais vous noterez que je ne le qualifie pas de « plus ou moins tueur d’Assange » ou de « plus ou moins ami de Guantanamo » ou de « plus ou moins Netanyahu » pour l’associer aux crimes de ses amis politiques dont je suis certain qu’il les désapprouve. Avant lui, dès le matin, Sauce, éditorialiste à BFM avait dénoncé l’idée de garantie mutuelle de sécurité comme une concession honteuse à la Russie. Et son compère Croissandeau avait remis son uniforme de grand analyste pour dire que proposer la paix aujourd’hui c’est demander la capitulation de l’Ukraine. Ainsi pour eux je me serais trompé en annonçant en 2022 que les Russes n’interviendraient pas. Et pour eux ma demande des garanties mutuelles de sécurité pour la paix seraient la preuve de mon affection pour Poutine. Lamentable manipulation faite en connaissance de cause par des journalistes parfaitement informés du fond du dossier. Mais leur rôle assumé est bien d’en masquer le contenu trop défavorable à leur parti pris politique aveuglé ! Je donne donc ici les arguments pour ceux qui auraient encore à répondre à ce type de coup de gourdin d’ignorant. Mais aussi pour appeler une fois de plus à une réforme du système de l’information avant la transformation de tout l’espace médiatique en un vaste CNews de simple propagande gouvernementale.
« Les Russes n’interviendront pas ». Ce dimanche là , Benjamin Duhamel citait à l’écran une phrase prise, deux ans avant l’invasion, chez Adrien Quatennens. D’après lui les insoumis auraient affirmé que le risque d’intervention russe n’existait pas. Le tout pendant que passait un bandeau « Russie-Hamas : le talon d’Achille LFI ». Et avant de répéter contre l’explication déjà donnée par Quatennens (et la réalité des faits) que nous aurions « pas voté une résolution dénonçant l’empoisonnement d’Alexis Navalny ». Autant de mensonges avérés. Tout cela pour finir en s’interrogeant, la mine grave, pour savoir si nous n’aurions pas « sous-estimé lourdement la situation ». Il savait parfaitement qu’il truquait l’information dans le seul but de nous flétrir dans le style désormais dominant de la « vérité alternative » sur le mode du pire de ce qui se voit sur les réseaux sociaux. Car cette façon d’assener, bien dans son style d’interview où toute question est une accusation, est bien discutable sur des sujets aussi graves. Ici cela masquait le contexte de l’époque où le débat était tout autre. Il portait sur la menace d’étendre l’OTAN à l’Ukraine face à la « menace russe » qu’elle provoquait ainsi elle-même. Notre analyse inversait les termes du problème posé. Quant au pronostic erroné sur la probabilité de l’invasion effective qui eut lieu, la responsabilité est complètement différente. Et elle ne remonte pas à deux ans en arrière mais à 9 jours avant ! Duhamel le savait très bien. Il avait pris soin de ne pas prévenir son interlocuteur d’une accusation aussi sérieuse. En fait « l’erreur » vient des macronistes et de Zelensky lui-même. La nôtre fut de les croire. En effet, comme en atteste le compte-rendu qu’en avait fait le journal « Libération », la ministre macroniste Florence Parly avait assumé à huis clos une divergence d’appréciation radicale avec le pronostic américain sur l’entrée en action des Russes. Je confirme. C’était lors de son audition par la commission de la Défense de l’Assemblée nationale le 15 février, soit neuf jours avant l’invasion russe… Le verbatim des propos de la ministre est clair et accablant pour désigner les responsables de l’annonce selon laquelle les Russes n’interviendraient pas militairement. Je cite donc. « Nous disposons bien de moyens de renseignement souverains qui nous permettent de développer nos propres analyses sur la situation en Ukraine. Nous avons renouvelé la totalité de nos capacités satellitaires d’observation, d’écoute et de communication, et nous utilisons les avions de reconnaissance et d’écoute, les Atlantique 2 et les Gabriel, ainsi que les Rafale, qui permettent aussi d’apprécier des situations, ou encore les navires qui ont été déployés dans la mer Noire. Nous avons orienté des capteurs vers l’Ukraine depuis l’automne. La question qui se pose ne concerne pas tant ce que nous observons que les conclusions à en tirer. » avait déclaré solennellement la ministre macroniste des armées. Du sérieux donc. Puis elle conclut : « Si nous voyons les mêmes choses que nos partenaires, nous n’en tirons pas nécessairement les mêmes conclusions. » Ce qui se disait alors entre hauts responsables militaires et politiques de notre pays a ensuite été confirmé avec une totale transparence par l’audition d’Étienne de Poncins, ambassadeur de France en Ukraine, quelques mois plus tard devant la commission à l’Assemblée nationale (mercredi 9 novembre 2022). « Il reviendra aux historiens d’examiner ce qui s’est passé. Comme le disait justement Mme Parly, le paradoxe est que nous disposions tous des mêmes informations : nous savions que 130 000 hommes se trouvaient dans une position agressive, encerclant l’Ukraine. La question était de savoir s’ils passeraient ou pas à l’attaque. C’est sur ce point que les analyses ont divergé. Les Américains pensaient que oui ; certains, dont nous-mêmes, considéraient que c’était peu probable. Le président Zelenski lui-même, jusqu’au dernier jour, disait que le problème allait se régler, que les Russes bluffaient. Le 18 février encore, soit six jours avant l’attaque, le maire de Marioupol était dans mon bureau pour parler de programmes de développement. Sa ville, située à 20 kilomètres de la zone de contact, devait être la première victime d’une offensive russe – ce qui a d’ailleurs été le cas. Ce jour-là, je lui ai demandé s’il avait peur, s’il pensait que les Russes allaient attaquer ; il m’a répondu qu’il était sûr que c’était du bluff. » D’ailleurs les propos de Zelenski mettant en garde « contre le bluff russe » sont également disponibles dans la presse de l’époque. Ce n’est pas tout. Ce 28 février à l’Assemblée nationale, le général Gomart, ex-directeur du renseignement militaire à l’époque, a reconnu sans problème s’être trompé sur ce sujet. Autrement dit, seuls les gens de médias m’attribuent une responsabilité dont tout le monde sait qu’elle n’est pas la mienne. Cela s’appelle mentir sciemment. Tel est le système médiatique à cette heure, grossièrement mobilisé au service de la propagande du gouvernement.
Aux insoumis à l’époque, les avis et les renseignements recueillis ne concluaient pas tous de la même façon. Je publiais donc le 21 février 2022 un post sur ce blog pour marquer l’alerte que nous pensions voir après la reconnaissance par Poutine de la république du Donbass.
La tension visible entre les divers services de renseignements français n’éclairait rien non plus. Mais les insoumis se prononcèrent en affirmant une grille d’évaluation simple et claire que je résumais ainsi : « L’OTAN n’entre pas en Ukraine et la Russie non plus ». Trois jours plus tard, l’invasion russe eut lieu à cinq heures du matin, heure de Paris. À sept heures je tweetais sur le sujet une fois l’information recoupée et vérifiée. Je condamnais sans détour l’invasion russe. Voici mon texte (il est encore sur ce blog) : « La Russie agresse l’Ukraine. Une initiative de pure violence manifestant une volonté de puissance sans mesure. Une escalade insupportable est provoquée. Notre pensée et notre compassion se portent vers les populations victimes et nos compatriotes encore présents sur place. L’histoire du vieux continent bascule. La Russie y installe de nouveau la guerre comme moyen de règlement des conflits. Elle oblige chacun à passer des méthodes et des logiques du temps de paix à celles du temps de guerre. La Russie prend la responsabilité d’un recul terrible de l’histoire. Elle crée le danger immédiat d’un conflit généralisé qui menace toute l’Humanité. Pour l’Union européenne le temps de la protection mutuelle est venu. En France tous les moyens de défense doivent être immédiatement mobilisés pour garantir totalement les intérêts vitaux de notre pays. Dans le même temps, la France ne doit pas se résigner. Elle doit prendre l’initiative d’une démarche de règlement pacifique et diplomatique de la situation. Son objectif doit être d’obtenir un cessez-le-feu immédiat et un retrait de toutes les troupes étrangères d’Ukraine. Pour cela une réunion immédiate de l’Organisation de sécurité et de coopération en Europe peut être un outil immédiatement disponible. L’ONU doit délibérer d’urgence et les nations du monde intervenir pour rétablir la paix en Europe. Il ne faut surtout pas accepter d’entrer dans l’escalade. Elle serait sans retour. »
Pourtant l’officialité médiatique m’accabla ensuite comme « ami de Poutine » comme si de rien n’était. Mes détracteurs de la vieille gauche et de EELV m’injurièrent de même. La suite ne fut pas davantage à leur honneur : Faure, Jadot et Hidalgo ne firent rien d’autres que des paroles venimeuses contre les insoumis. En revanche, de notre côté nous organisions une prise de parole spectaculaire par vidéo depuis la Russie projetée dans mon rassemblement à Lyon. Celle de l’opposant de gauche à Poutine, le camarade Alexeï Sakhnin. Puis nous organisâmes avec les autorités françaises l’exfiltration de Russie de quatre opposants socialistes russes dont nous assumons depuis cette date l’hébergement. Jamais les bavards donneurs de leçon de la vieille gauche n’ont fait le moindre geste concret ni pris en charge la moindre participation à l’accueil de ces camarades. Rien de plus que la comédie habituelle de ces sortes de personnages sans consistance. Ils n’ont pas changé : encore à présent ils se tordent les mains de désespoir devant la mort de Navalny. Mais ils restent muets et inactifs comme des pierres pour la défense du journaliste Julian Assange emprisonné sans jugement et torturé depuis des années en Angleterre sur ordre des USA. Pour ne rien dire des indignations à géométrie variables entre le cas Poutine et le cas Netanyahu quand bien même il s’agit d’une vraie guerre entre Ukraine et Russie mais d’un génocide sadique à Gaza face à une population désarmée, assiégée et déshumanisée jour après jour par les insultes que profèrent à leur égard les responsables du gouvernement Netanyahu ! Un autre jour je présenterai le bilan de cette situation dans les opinions publiques et le désastre ainsi amorcé pour tous ceux qui s’affichent comme du camp « occidental ».
« Le garanties mutuelles de sécurité » ce serait la capitulation devant la Russie. Affirment aussi les répondeurs automatiques médiatiques. Que ne l’ont-ils dit quand Macron le proposait en Albanie au sommet Balkans/UE en 2023 ? Inquiet de cet écart de la ligne atlantiste pure et dure à laquelle il adhère sans réserve, « Le Monde », seul ce journal, avait titré « Les déclarations d’Emmanuel Macron sur la Russie ulcèrent Kiev et ses alliés ». « La phrase prononcée par le chef de l’Etat en vue d’offrir des « garanties de sécurité » à la Russie, quand les combats cesseront, a suscité un tollé dans l’Est du continent européen, plus de neuf mois après l’invasion russe de l’Ukraine. “Qu’est-ce qu’on est prêt à faire pour donner des garanties pour sa propre sécurité à la Russie le jour où elle reviendra à la table des négociations ?”, s’est interrogé le chef de l’Etat, dans un entretien sur TF1, samedi 3 décembre. “Un des points essentiels, c’est la peur que l’OTAN vienne jusqu’à ses portes, c’est le déploiement d’armes qui peuvent menacer la Russie”, a-t-il expliqué, semblant reprendre les arguments avancés par Moscou pour justifier son offensive »
À la vérité, des négociations avaient bel et bien lieu entre une trentaine de diplomates du monde à ce sujet… « Le Monde », silencieux sur ce point, en restait à l’indignation que provoquait cette idée. « L’Ukraine n’a pas tardé à réagir, au moment où la Russie s’acharne à détruire ses infrastructures civiles dans le but de saper le moral de sa population, en la privant de chauffage et d’électricité cet hiver. “Quelqu’un veut fournir des garanties de sécurité à un Etat terroriste et meurtrier ?”, a lancé le secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense ukrainien, Oleksi Danilov, sur Twitter .» Couper l’électricité et le chauffage étaient à l’époque considérés comme des crimes de guerre. Depuis le soutien inconditionnel à Israël a modifié la sensibilité des indignés de la classe médiatique. Ils peuvent désormais supporter la privation d’eau de nourriture et le meurtre de milliers d’enfants et de civils sans défense, mais c’est à Gaza. Mais on voit comment Macron passait à deux doigts de la complicité avec le terrorisme dans « Le Monde ». Le journal concluait : « À chaque fois, les mots du chef de l’Etat mettent à mal ses relations avec les capitales de l’Est du continent, en dépit du soutien militaire, diplomatique et financier que la France apporte à l’Ukraine. Bruno Terrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, parle d’un “discours illisible et inaudible, et surtout contreproductif pour son propre agenda européen. (…) Pour lui, comme il l’a martelé lors de son voyage à Washington début décembre, la guerre ne peut se conclure sur le champ de bataille, mais par la recherche d’une « paix durable”, via la diplomatie.” ».
On voit ce que valent de telles « analyses » à la lumière de ce jour. Mais le plus grave n’est pas l’inaptitude de l’officialité médiatique à aider à comprendre les situations. Le pire est le résultat : la séquence d’aujourd’hui est un épisode lamentable pour notre pays, discrédité, isolé et moqué pour ce qui est considéré comme des dérapages incontrôlés de son président. La France perd sur tous les tableaux. En s’enfermant dans les allers et venues autour du soutien inconditionnel à Netanyahu, et en jouant les surenchères irresponsables contre la Russie, la France est enfermée dans une posture ultra « occidentaliste » qui la coupe du monde réel. Elle devient un simple supplétif errant dans le cortège des tenants du choc des civilisations. Mais elle y figure dans le ridicule des va-t-en guerre sans les moyens.