Le racisme est une idéologie globale  

Dans les allées des formations et conférences des AMFIS d’été la question de l’extrême droite a eu cette année une nouvelle ampleur compte tenu des résultats électoraux de celle-ci. Le moment est donc ouvert pour construire une compréhension commune qui se distingue à la fois du moralisme du passé et de l’illusion du parler d’autre chose pour convaincre en prenant à revers le racisme. Pour cela, il faut inscrire le racisme dans son contexte politique. 

Les régimes néolibéraux ont besoin d’un consentement populaire à leur autorité, c’est-à-dire en réalité, au cas présent, à leurs abus de pouvoirs dans le contexte d’instabilité sociale qu’ils créent. Les agences d’influence de l’oligarchie qui dominent nos sociétés le construisent donc méthodiquement. Le ressort en sera toujours la déshumanisation des victimes de ces abus. La soudaine apparition du milliardaire Elon Musk aux côtés des émeutiers racistes du Royaume-Uni n’est pas un hasard. C’est l’expression sans fard de la nature profonde de l’état du système de domination actuel où l’oligarchie lie étroitement son sort au succès des opérations de fracturation du peuple en compartiments ethniques. Dans cette entreprise, tout est bon qui conforte l’imagerie à incruster. Par exemple, la figure des « palestiniens terroristes » justifiant le génocide en est sans doute une des formes les plus ignobles que nous ayons jamais vécues. Sa transposition dans l’équation « tous les musulmans des quartiers populaires sont antisémites » montre de quelle manière la théorie du « choc des civilisations » forme un tout dont le vecteur central est le racisme. De même, l’antisémitisme installe la banalité de la discrimination dans l’espace mental qu’il affecte. Il fonctionne lui aussi comme un outil de fracturation du peuple et de la Nation. La question du droit de vote des juifs portée par Robespierre et d’autres avait bien souligné à l’époque le lien intime entre l’égalité en droits et la souveraineté du peuple comme base de la Nation. Le raisonnement peut et doit être étendu à tout préjugé visant à « rendre naturelle » une discrimination.            

Cette « offre » idéologique, le racisme, et ce qui s’y rapporte sur le plan intellectuel, culturel et social sont incontournables. Loin d’être un mauvais penchant individuel, elle fonctionne comme une idéologie globalisante qui prétend expliquer les problèmes dans leur ensemble et y apporter des réponses conformes à cette prémisse. Le combat de l’insoumission ne peut donc imaginer vouloir « parler d’autre chose ». Comme si la lutte idéologique dans le grand nombre ne s’était pas déjà concentrée sur les enjeux que les partis du néolibéralisme ont installés ! La révélation des mécanismes de l’exploitation capitaliste ne suffit pas à disperser les brumes mentales du racisme ou de la xénophobie. Alors, le concept de « fâchés pas fachos » peut correspondre à des cas individuels. Mais il n’a pas d’efficacité opérationnelle face à une conviction de masse que tout problème se résout dans une approche raciste et xénophobe. Exemples. La santé pour tous ? « Oui, oui, mais supprimons l’aide médicale d’État pour équilibrer les comptes ». La retraite pour tous ? « Oui oui, mais suppression immédiate pour un éloignement de plus de trois mois du retraité pour aller au pays d’origine de la famille ». Les allocations familiales ? Et ainsi de suite. 

Le combat social et le combat culturel doivent s’aborder par des angles communs. Ils sont transversaux dans la réalité. Il s’agit autant de convaincre que de contre-mobiliser des secteurs de la société contre les croyances et actions des autres. Il forme un tout indissociable et il est vain d’établir des hiérarchies d’urgence. On ne saurait distinguer les batailles dites sociétales de celles réputées plus purement sociales. Les unes et les autres relèvent des mêmes principes d’action et d’objectifs. L’égalité en droit est un même sujet, qu’il s’agisse de salaires ou de mariage pour tous. 

Une nouvelle fois, il s’agit de reconnaître concrètement le fait que l’être humain est autant un animal social qu’un animal culturel. Reconnaître comment nul ne peut se socialiser hors des normes culturelles et politiques de son époque. De fait, les êtres humains acceptent d’ailleurs plus volontiers de mettre en cause leur propre existence pour des motifs d’ordre symbolique ou culturel que pour leur intérêt purement matériel. Le droit à la dignité est une motivation aussi puissante que l’étude de sa feuille de paye. Et en pratique, il devient vite évident que les deux ont un rapport étroit. Mais il est plus facile pour chacun d’évaluer le niveau de respect de la dignité auquel il a droit que la valeur marchande de la qualification de son travail. À l’inverse, le racisme, la xénophobie, l’intolérance religieuse ne sont pas de simples égarements individuels limités, mais des phénomènes de masse méthodiquement organisés et dès lors pris ensuite en charge par toutes sortes de gens ordinaires. Ils provoquent un clivage qui atteint progressivement des millions de gens pris à partie dans leur existence la plus personnelle. C’est pourquoi la lutte contre l’inégalité en droit des hommes et des femmes, ou bien celle contre le racisme sont loin d’isoler ou de marginaliser ses acteurs. Car elles ouvrent au contraire un espace d’expansion pour l’insoumission de chacun aux normes culturelles et sociales inégalitaires.

 De leur côté, les régimes autoritaires cultivent les idéologies discriminatoires comme des points d’appuis pour naturaliser l’inégalité des droits et des libertés individuelles. Une situation sans précédent dans les démocraties de l’Europe de l’Ouest. Tous ces abus de pouvoir surviennent à l’issue d’une longue série de prises de position rapprochant sa politique et les valeurs qui en dépendent des discours de l’extrême droite et même de son programme. En France, des lois votées de concert en attestent. Elles portent sur des sujets centraux et récurrents du discours de l’extrême droite depuis des décennies à propos de l’immigration ou du soupçon terroriste sur les musulmans et les immigrés en général. Ce rapprochement de ligne n’efface pas la concurrence, mais elle situe le champ dans lequel elle s’exerce. Autrefois, la droite française se disait sociale. Elle revendiquait un bilan de progrès face à son alternative de gauche. Désormais, la compétition s’exerce pour elle avec l’alternative d’extrême droite. Et comme l’extrême droite française se donne une couleur sociale, la droite traditionnelle se concentre donc sur des surenchères en matière de racisme ou de xénophobie. Au total, les vecteurs culturels et symboliques comme le racisme et la xénophobie ne sont pas des accessoires superficiels, des fumées passagères embrumant les esprits. Ils influencent en profondeur les comportements dans les sociétés européennes. Ils sont la laisse très concrète et soigneusement tissée qui tient les esprits en file dans les rangs de l’ordre dominant. Ils sont le vecteur de masse pour justifier toutes les ségrégations et leur évolution vers des méthodes et des usages autoritaires. 

Quand on entend le discours raciste, on ne doit jamais masquer à qui il s’applique. Les catégories sociales « racisées » sont celles du salariat. Et parmi celui-ci aux couches les plus réactives. Ainsi, les mobilisations sociales de luttes de classes depuis une décennie se concentrent dans les secteurs surexploités que font vivre les personnes racisées dans l’hôtellerie, la restauration, le nettoyage et les autres tâches sociales sans lesquelles le quotidien de millions de gens serait tout simplement ingérable. Naturellement les racisés sont présents dans toutes les catégories sociales. Et par conséquence elles sont partout tenues dans une suspicion qui aggrave les conditions de leur domination. Et ce n’est pas sans conséquence sur le traitement et les discriminations qu’elles y subissent dans une société de compétition individuelle généralisée.  

Dès lors, psychologiser l’analyse du racisme, ou lui donner quelque forme secondaire que ce soit (c’est dire retirée de leur champ social) c’est ignorer sa fonction sociale et politique très directe au service du maintien de l’ordre dominant. Et se rendre incapable de travailler à l’unité du peuple sans laquelle il n’y a aucun front populaire possible.

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