Je ne crois pas aux fantasmes complotistes à propos des « Frères musulmans ». Avec ce genre de gadget désastreux, le clientélisme électoral islamophobe des gouvernementaux en direction de l’extrême droite met en danger le pays. Des millions de gens sont dégoûtés de voir leur religion montrée du doigt. Les approximations délirantes d’un rapport contesté à l’intérieur même des murs qui l’ont produit ne peuvent ni ne doivent être avalés tout rond comme le font les journalistes qui le propagent. Mais c’est vraiment un point d’orgue dans une séquence mortifère ! L’extrême droite fait son chemin quand ses slogans et fantasmes contaminent tout le champ politique. Elle est bien tranquille pendant que ses bandes ultra-violentes attaquent physiquement de tous côtés. Pendant ce temps, les tireurs dans le dos mènent les combats de revers qui facilitent cette manœuvre bien concrète de conquête du pouvoir. Le « centre gauche » social-libéral se donne pour but de détruire LFI et appuie ses deux quotidiens, Le Monde et Libération qui nous dénoncent comme une secte ! Ni plus ni moins. Il s’agit pourtant de la première organisation de gauche et son premier groupe parlementaire en lutte permanente contre le RN et ses idées. La petite « goche » traditionnelle est, elle aussi, traversée d’hésitations dans la lutte contre l’islamophobie dont elle conteste même l’appellation. De son côté, le centre droit fait de l’islamophobie une cause de l’État sous prétexte de « frères musulmans ». Après « le complot juif » des années trente voici le « complot musulman ». Un quotidien populaire comme l’était Le Parisien y consacre aussitôt quatre pages sans recul et un éditorial, du niveau d’un tract d’extrême droite. Un texte qui s’effraie de l’action, dit-il, d’à peine un millier de personnes (d’où lui vient ce chiffre ?) soupçonnées de vouloir instaurer un califat en France (sic !!). Il n’a jamais rien eu à dire sur les bandes de fachos qui défilent dans les capitales du pays. Et le chœur des bêlants en continu embraye. Pourtant, le rapport ne dit pas toujours ce qu’on lui fait dire et ce qu’il dit est souvent très discuté par les connaisseurs du sujet. David Guiraud, député insoumis, a crucifié l’habituel « journaliste » qui n’a rien lu, interroge des gens qui n’ont pas lu davantage et pérorent sur ordre, tous en cadence.
Pourtant, sans limites ni réserve, des zélés galonnés font le tour des plateaux de télés comme ce préfet des Hauts-de-Seine, ancien du cabinet Darmanin. Il aura passé sa journée du 21 mai dans les médias (RTL, Cnews, BFM, France 5) pour parler du rapport sur les Frères musulmans. Comme par hasard, il sort en même temps lui-même un rapport sur le sujet pour la Fondapol, préfacé par Retailleau. Il a multiplié les provocations et il a bien sûr bafoué son obligation de réserve. Mais dans l’administration aussi, désormais, c’est le deux poids deux mesures. Alors dans ce contexte, respect et honneur à cette enseignante, réprimée par son administration qui choisit de servir le silence nécessaire au génocide. Pourtant, c’est une bonne chose de voir une enseignante contribuer comme c’est son devoir à la formation morale et humaine de ses élèves face à un crime de cette nature. On se réjouirait d’en trouver davantage.
De son côté, le président de la République y consacre un Conseil de défense, ce qui donne à une opération de son ministre de l’Intérieur tout le lustre de l’officialité. Rien ne semble plus pouvoir arrêter la machine infernale désormais lancée sans recours. Car tout se tient. Depuis le refus de reconnaître le résultat des législatives notre pays s’est installé dans un hors-sol politique sans arbitrage possible. La pantalonnade concernant les Frères musulmans n’a aucun autre sens que la surenchère à droite entre les partis gouvernementaux et l’incapacité du président et de son premier ministre à contrôler l’attelage irresponsable qui le constitue. Ils sont prêts à tout, car leur activité ne concerne plus qu’eux-mêmes occupés qu’ils sont à choisir l’héritier de l’agonie du macronisme. Cela va se payer cher, très cher. Ces gens ignorent que l’histoire de France est toujours tragique. Ils croient que tous les coups sont permis. Ils affichent un sentiment de toute puissance puérile. Le pays est un terrain de jeu pour eux. Ils ne savent rien de son histoire longue ni de son présent bigarré. Le maire de Pau et le créateur du Puy du Fou gouvernent sans contrôle un pays présidé par un homme totalement isolé dans sa bulle stupéfiante d’autosatisfaction.
Enfin les bouches s’ouvrent !
L’étendue du crime qui est en cours à Gaza ébranle sévèrement le système des complicités mécaniques avec Netanyahu. Reste que celui-ci n’aurait pu en arriver jusqu’à ce point de violence sadique dans la conduite du génocide sans ces complicités passives si… actives. Mais dorénavant le retournement s’exerce en profondeur. Il libère un peu la pression communautaire sur les personnes et les associations juives qui se sont engagées courageusement contre le génocide. Il génère des nausées plus visibles quand des intimes proches de Netanyahu comme le sieur Meyer Habib traite de « petite pute » une députée insoumise montrant non seulement son sexisme vulgaire, mais l’arrogance sans bornes de ce type de fanatique. Le silence des observateurs sur cette scène en dit long sur eux-mêmes. Le sexisme ethnique est en roue libre. Néanmoins, les derniers soutiens assumés sont dans l’extrême droite où Marine Le Pen a assumé sa solidarité avec les crimes de guerre, proclamant que « nous aurions le même ennemi » que Netanyahu. Dans ce registre provocateur, il faut évidemment ajouter le ministre Retailleau, président de LR, qui voudrait dissoudre l’association « Urgence Palestine » et « la Jeune Garde ». Et quand un concert indigne fait l’apologie du génocide et en réclame davantage avec projection d’images de bombardements, lui et ses sbires regardent ailleurs.
Mais au total, le chœur des enragés a baissé d’un ton, même si les plus virulents suprématistes continuent à décliner leurs équations venimeuses. À présent, bien des gens qui se taisaient n’hésitent plus à nous donner raison. Ils le font facilement dans les contacts individuels. Il arrive même que d’aucuns présentent des excuses pour n’avoir rien dit quand nous étions accusés d’antisémitisme en raison de notre opposition à Netanyahu. Certes, beaucoup restent dans la peur des représailles professionnelles ou familiales. Mais beaucoup désormais s’avancent publiquement sur les mêmes exigences que nous. Cela concerne l’embargo sur les livraisons d’armes, l’interruption de l’accord de coopération de l’Union européenne, de jugement des criminels de guerre. Dans le même temps, la décision européenne d’examiner la situation de l’accord commercial a ouvert une large brèche dans le mur du silence officiel. Bien sûr, nous en connaissons les limites : les européens vont prendre leur temps et le gouvernement allemand monte la garde. Mais cette décision est une étape importante sur le chemin désormais à portée de main vers un isolement total du gouvernement Netanyahu. C’est l’objectif qu’il ne faut pas perdre de vue. Car c’est la condition pour arrêter les massacres et voir démarrer les procédures judiciaires qui auront raison des criminels et de leurs complices. Nous y serons aidés malheureusement par les déclarations des fanatiques qui entourent Netanyahu pour appeler au génocide ou s’en féliciter car ils révulsent tout le monde par leur barbarie. Mais ils nous valent chaque fois de nombreux ralliements contre le génocide. Nous y serons aidés aussi par le niveau de refus des jeunes israéliens de s’enrôler pour tuer à Gaza. Car il est désormais considérable et rejaillit dans les débats des communautés qui sont restées ouvertes. Et nous le sommes aussi par tous ceux qui, sur place, au contraire de ce qui se passe à Paris, n’acceptent plus que toutes ces horreurs soient perpétrées en leur nom. Cela isole considérablement tous les fanatiques. Comme cette jet set parisienne qui est allée à Jérusalem nous dénigrer à l’étranger. Ainsi, hors de portée des lois françaises qu’ils ne respectent pas, ils ont pu diffamer le mouvement insoumis déclaré par eux « passionnément antisémite ». Ceux-là se battront dans la chaleur douillette des plateaux de télé jusqu’au dernier appelés israéliens et aux derniers enfants palestiniens ! Mais le renversement d’appréciation est fait désormais dans l’opinion. Il s’exprime aussi par la voix des Israéliens qui marchent à la frontière avec Gaza comme nous le signalent ici les membres de la communauté qui ont des proches là-bas dans ces manifestations. Ces marches sont presque plus libres que chez nous, en France où la parole a été la plus verrouillée et où les points de vue divergents sont encore le plus brutalement pourchassés.
Suicide moral
Une bonne illustration et un bon résumé de ce moment politique de bascule est ce texte des Echos signé par Dominique Moïsi, « géo-politologue ». Il est paru sous le titre « Gaza : le suicide moral d’Israël ». J’en retiens ces lignes fortes : « La politique menée par Benyamin Netanyahou à Gaza est tout simplement criminelle, écrit-il. Elle a fait des dizaines de milliers de victimes innocentes. Cette politique représente une menace existentielle à terme pour l’Etat d’Israël, et le peuple juif dans son ensemble. Elle est l’équivalent d’une forme de suicide moral, sinon de suicide tout court. »
Comme je crois à l’action politique en tant que bataille de convictions contraires, j’attache beaucoup d’importance aux moments de bascule ou de renversement des points de vue. Ils sont le cœur de la pratique démocratique. Ces moments d’allées et venues des idées, ces contradictions quand elles changent de camp, justifient notre adhésion au principe de démocratie. Ils prouvent qu’on peut renoncer à la force et faire pourtant prévaloir une idée. Ils prouvent que les situations concrètes et les argumentations tenues fermement ont un pouvoir de conviction qui s’exerce jusque dans les rangs des plus déterminés. Ce texte de Moïsi permet à des gens de comprendre pourquoi il faut lâcher Netanyahu et cesser de le défendre ou cesser de se taire sans autre forme de réflexion. Trop de gens l’ont fait selon une très ancienne consigne de « défense inconditionnelle ». La forme autant que le contenu d’une telle consigne est à l’origine du « suicide moral » actuel. Plus puissant sera le désaveu dans le public à l’égard du gouvernement Netanyahu, plus seront desserrée les mâchoires de l’étau de « silence inconditionnel ». Peut-être se rompra alors chez les silencieux le lien entre leur conscience morale universaliste et leur adhésion politique. Car je crois que beaucoup pensaient d’abord, comme ils le disaient, soutenir « une riposte » plutôt qu’un génocide délibéré. Mais les propos les plus abominables de l’équipe Netanyahu ne sont jamais parvenus à ébranler les certitudes des silencieux « inconditionnels ». Cette situation est exceptionnelle par le résultat désastreux qu’elle a permis puisqu’il s’agit d’un nettoyage ethnique génocidaire. Mais pour le reste, tout y aura été conforme à ce qui se produit chaque fois qu’un nationalisme devient un ethnicisme suprémaciste. Le suprémacisme est au-delà du chauvinisme qui est lui-même au-delà du nationalisme. C’est l’affirmation d’une supériorité sans autre fondement que la certitude de ceux qui la proclame. En citant la Bible, Netanyahu a même voulu donner une origine divine à ses crimes. Les autorités religieuses n’ont guère réagi. Je suis pourtant certain qu’elles ne pouvaient être d’accord.