Cet article a été publié par Martine Billard. Retrouvez-le sur son blog.
Paris a été frappé le vendredi 13 novembre par des attentats sanglants faisant 130 victimes et 350 blessés. Il est vite apparu que ces terribles actions avaient été coordonnées et étaient l’œuvre de plusieurs commandos de Daesh dont tous les participants n’étaient pas morts lors de ces attaques.
La déclaration du Parti de Gauche
La nécessité d’agir très vite pouvait donc justifier la déclaration de l’état d’urgence. Celui-ci est régi par la loi du 3 avril 1955 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000695350 contrairement à l’article 16 ou l’état de siège (art 36) qui sont eux inscrits dans la constitution de 1958.http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/constitution.asp
Il peut donc être déclaré pour 12 jours par décret en conseil des ministres. et concerner l’ensemble du territoire national ou une partie. Sa prolongation au delà des 12 jours nécessite une loi votée par le parlement fixant la nouvelle durée. Le vote de la loi de prolongation va donc maintenir l’état d’urgence jusqu’au 26 février 2016, sauf décision du gouvernement de l’interrompre avant, dans ce cas par décret, ou au contraire de demander une nouvelle prolongation.
L’état d’urgence
Il a été appliqué en Algérie pour 9 mois à partir d’avril 1955, en métropole suite aux évènements du 13 mai 1958 (3 mois), le 23 avril 1961 suite au putsch des généraux d’Alger (il durera jusqu’au 31 mai 1963 soit 3 ans) et de décembre 1984 au 30 juin 1985 en Nouvelle-Calédonie. Sa plus récente utilisation date du 15 novembre 2005 jusqu’au 4 janvier 2006 lors des émeutes des banlieues.
Il n’a pas été utilisé suite aux attentats de 1986 (plusieurs attentats qui feront plusieurs morts et blessés dont celui du magasin Tati à Montparnasse), de 1995 (plusieurs attentats dont celui du RER B à la station Saint-Michel qui fera 8 morts et 151 blessés) ou de 1996 (RER B station Port-Royal 4 morts et 91 blessés).
Que permet l’état d’urgence ?
La loi permet, sans décision d’un juge, les perquisitions de nuit, l’interdiction des manifestations, rassemblements, spectacles, l’interdiction de séjour dans un lieu donné, l’instauration d’un couvre-feu.
Ainsi la préfecture de l’Yonne a annoncé aujourd’hui l’entrée en vigueur d’un couvre-feu (et donc interdiction de circuler à pied ou en véhicule) chaque nuit dans un quartier de Sens de 22 heures à 6 heures jusqu’au lundi 23 novembre, 6 heures.
Mais, sans état d’urgence, les lois permettent les perquisitions de nuit, les assignations à résidence, la dissolution d’organisation, dans le cas de terrorisme. C’est notamment le cas de la LOI n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029754374&categorieLien=id
M. Valls le reconnait lui-même « Je veux d’abord rappeler que le Gouvernement et la majorité, quels qu’ils soient, disposent – sous le contrôle du juge, c’est vrai – d’outils pour s’attaquer au trafic d’armes, pour mener un certain nombre d’opérations, et même pour fermer des mosquées, en l’occurrence salafistes. »
Pourquoi alors instaurer l’état d’urgence ?
Il évite d’avoir à faire intervenir un juge et donne l’initiative au ministère de l’intérieur. Autant cela peut se concevoir pour quelques jours, pour aller vite dans le démantèlement des commandos terroristes, autant sa prolongation, et en plus pour 3 mois n’est pas justifiée. Le droit existant est suffisant.
Qu’apportent les modifications de la loi sur l’état d’urgence ?
http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0609.asp
Il y a du toilettage bienvenu : le contrôle par les juridictions administratives remplaçant la commission consultative qui existait dans la loi de 1955, la suppression du contrôle de la presse , de la radio, des cinémas et des théâtres ( (des députés PS emmenés par Sandrine Mazetier, députée de Paris ont plaidé pour le maintien de ce contrôle) et la suppression du recours à la justice militaire.
L’introduction d’un article (Art. 4-1) indiquant que « L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence. Ils peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. » a surtout servi à rassurer les parlementaires qui hésitaient sur leur vote.
De vrais régressions en terme de liberté par l’extension de mesures au delà de la notion de terrorisme.
L’article 3 de la loi du 13 novembre 2014 sur la lutte contre le terrorisme inclue déjà comme cause d’assignation à résidence le lien avec le terrorisme, même s’il ne concerne que les étrangers.
« Art. L. 563-1. – L’étranger astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés en application des articles L. 523-3, L. 523-4 ou L. 541-3 qui a été condamné à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme prévus au titre II du livre IV du code pénal ou à l’encontre duquel un arrêté d’expulsion a été prononcé pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste peut, si la préservation de la sécurité publique l’exige, se voir prescrire par l’autorité administrative compétente pour prononcer l’assignation à résidence une interdiction de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes nommément désignées dont le comportement est lié à des activités à caractère terroriste. La décision est écrite et motivée. Elle peut être prise pour une durée maximale de six mois et renouvelée, dans la même limite de durée, par une décision également motivée.
Mais pourquoi ne pas avoir repris la même rédaction sans spécifier étranger pour modifier l’article 6 portant sur l’assignation à résidence ? L’article actuel qui visait des personnes «dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics»est remplacé par «existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». On passe donc de l’activité au comportement, notion plus que confuse. A Roger-Gérard Schwartzenberg qui s’en inquiétait ainsi que du peu de précision de «raisons sérieuses», le gouvernement a répondu «les raisons sérieuses permettent une plus grande latitude d’action, qui n’oblige pas à prouver que l’activité constitue bien une menace à l’ordre public.».
Le gouvernement a refusé pour le moment d’accéder à la demande de parlementaires de droite d’enfermer toute personne signalée par les fameuses fiches S et d’informer leurs employeurs. Or ces fiches concernent aussi bien des militants d’extrême-gauche que des militants fichés pour islamisme radical. Ensuite, ce ne sont que des rapports de police, comme l’ont longtemps été les fameuses fiches des RG avec toutes les erreurs qui vont avec. Comme l’a indiqué M. Valls pendant le débat « Je le répète devant l’Assemblée nationale : on ne saurait faire de ces fiches un critère de condamnation et d’emprisonnement. »
Mais les perquisitions et les assignations à résidence se font sur la base de ces fiches et le gouvernement a indiqué qu’il transmettrait la proposition au conseil d’état pour examen de sa conformité avec le droit international.
L’autre régression majeure porte sur les conditions de dissolution d’association ou de groupements de fait, c’est à dire des associations non déposées (cela peut être le cas de collectif par exemple)
Actuellement cette possibilité est ouverte par la Loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées selon des critères fixés à son article 1. Outre le caractère armé ou violent, sont prévus
1.soit provoquer à, soit propager des idées ou théories tendant à justifier ou encourager la discrimination et le racisme (la haine ou la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée).
2.se livrer, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger.
La dissolution d’une organisation peut donc intervenir pour ses activités, sa forme d’organisation, ou ses buts.
Dorénavant la dissolution pourra être prononcée dans le cadre de l’état d’urgence et non plus sous contrôle de l’autorité judiciaire et en utilisant un critère qui peut permettre de dissoudre nombre d’associations notamment celles qui sont à la tête des luttes de résistance aux grands projets inutiles et imposés : «Qui participent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent»
A la remarque d’un député PS qui soulignait la dangerosité de cette modification, le premier ministre a eu une seule réponse « C’est un impératif. Alors, pas de juridisme ! Avançons, c’est sur cela que nous sommes attendus »
En réponse à un amendement du groupe Ecolo proposant de « restreindre le champ des associations concernées à celles dont les atteintes à l’ordre public sont liées à la déclaration de l’état d’urgence« , la réponse du rapporteur est très éclairante « Avis défavorable, car cet amendement reviendrait à restreindre l’exercice que nous souhaitons au contraire pouvoir adapter avec la souplesse requise« .
Ainsi si dans les 3 mois Manuel Valls s’obstine à vouloir faire évacuer Notre-Dame des Landes, il pourra très bien demander l’interdiction de toute association ou collectif qui appellera à résister.
Les dissolutions ainsi décidées restent valables même une fois l’état d’urgence levé et le maintien ou la reconstitution tombent sous le coup de la loi.
Pourquoi cet article ? Pour pouvoir dissoudre des associations de mosquée salafistes. Mais la rédaction adoptée permet de dissoudre toute association ou collectif qui peut être accusé de porter atteinte à l’ordre public.
Enfin, on ne peut qu’être surpris que Manuel Valls, premier ministre, qui devrait être le garant de la loi, puisse expliquer tranquillement devant le Sénat qu’il ne voulait pas de saisie du Conseil Constitutionnel car « il y a toujours un risque à saisir le Conseil constitutionnel, cela peut faire tomber 786 perquisitions et 150 assignations à résidence déjà faites. Il y a y compris des mesures qui ont été votées hier à l’Assemblée nationale – je pense à celle sur le bracelet électronique, moi je suis dans la transparence – qui ont une fragilité constitutionnelle. « .
Nous ne savons pas combien de temps va durer l’état d’urgence. Au sénat, la droite a regretté qu’il ne soit pas établi d’emblée pour 6 mois. Le gouvernement a indiqué qu’il durerait le temps nécessaire. Hélas l’élimination de Daesh dans les 3 mois à venir est assez peu crédible, d’autant que ce n’est pas un problème interne à la France.
Nous allons donc vivre pendant un certain temps dans cet état d’exception. Certains s’en satisfont, ainsi un sénateur RDSE « On restreint les libertés, certes mais le parlement est associé à son contrôle. » en essayant de se rassurer à bon compte.
Mais que ce soit certaines interventions faites au nom du gouvernement à l’assemblée nationale : « La logique de la loi est de permettre à l’autorité administrative, une fois l’état d’urgence proclamé puis, éventuellement, prorogé, de disposer de pouvoirs exceptionnels pour maintenir l’ordre public, quelles que soient les causes des menaces. », que ce soit les déclarations de M. Valls ou encore la volonté de faire taire les paroles dissidentes en annulant les inscriptions dans le débat à l’assemblée, on ne peut qu’être inquiet de cette restriction des libertés et du détournement possible de l’objet initial.
Déjà les interdictions de manifestation politiques se multiplient (y compris celles pour la COP21) alors que tout ce qui relève de manifestations commerciales est maintenu.
Espérons que ce gouvernement ne soit pas tenté d’utiliser ces dispositions pour d’autres causes que celles qui ont amené à déclarer l’état d’urgence. Mais qui nous garantit qu’un jour un autre gouvernement ne le fera pas ? Prolonger l’état d’urgence est une chose, mais les modifications introduites, elles, vont rester.
Vote à l’assemblée nationale :
contre : Pouria Amirshahi, Barbara Romagnan, Sergio Coronado, Noël Mamère, Gérard Sebaoun, et Isabelle Attard. Abstention : Fanélie Carrey-Conte
Vote au sénat :
12 ABS : Esther Benbassa et 11 communistes