Du « Panama Papers », il faut d’abord dire l’essentiel qui est politique : le trafic fiscal n’est pas un dysfonctionnement du système. C’est une des veines jugulaires qui l’alimente en permanence et lui permet de maintenir sa pression mortelle et asphyxiante sur les États-nations et les systèmes de protection sociale ! Cette évasion fiscale représenterait 20 000 milliards de dollars dans le monde, 2000 milliards par an en Europe, 8o milliards en France. Ces montants sont ceux qui combleraient tous les « déséquilibres » et tous les prétextes à « assainissements » budgétaires et social. Quelle rage en lisant ces chiffres de penser à la vieille antienne des arrogants « il faut produire avant de redistribuer » comme ils aiment tant l’asséner avec cet air de gens raisonnables qui savent bien où sont les « réalités » devant lesquelles il faudrait s’incliner en silence. Sans oublier les récitants de la mondialisation heureuse qui font comme si la mondialisation ce n’était pas d’abord celle de la fraude, du trafic, de l’argent sale. Derrière chacun de ces « moralistes » il y a un voleur qui se marre. Le premier est l’alibi du second.
Sur qui compter pour faire la guerre à ces fraudeurs ? Que chacun se souvienne qu’en 2008, au G20, Obama et Sarkozy prétendaient mener une « lutte implacable contre les paradis fiscaux ». L’OCDE a établie plusieurs listes : une liste noire, une liste gris foncé, une liste gris clair. Panama figurait en bonne place sur la liste « gris foncé ». Puis quelques mois après, plus rien ! « Les paradis fiscaux, c’est terminé » a même osé dire Sarkozy à la veille du G20 suivant, en 2009 ! Le même Sarkozy a signé et fait ratifier une convention fiscale avec le Panama en 2011 pour permettre à ce pays de sortir de la liste des « pays non-coopératifs ».
Hollande n’a pas fait mieux. En 2012, il promettait « d’interdire aux banques françaises d’exercer dans les paradis fiscaux ». Dans les faits, la loi bancaire de 2013 a seulement obligé les banques françaises à déclarer leur filiale pays par pays. Sans aucune interdiction et encore moins de sanctions. Il faut dire que cette loi a été préparée en partie par Jérôme Cahuzac, à l’époque où on ne savait encore rien de sa fraude fiscale ni de son compte… au Panama ! Et depuis, le gouvernement a traîné les pieds au maximum. Au point que le ministre des Finances Michel Sapin a annoncé ce mardi 5 avril, suite au scandale des Panama papers, que la France réinscrirait le Panama sur sa liste « noire » des paradis fiscaux. C’est que le Panama n’y était plus depuis Nicolas Sarkozy ! Et sous Hollande, le gouvernement avait seulement décidé de replacer le Panama sous surveillance il y a quelques mois à peine dans une ambiance souriante et complice dont « le canard enchainé » révèle une photo troublante.
Et comment oublier aussi qu’en décembre dernier, le gouvernement Valls s’est opposé au Parlement à ce que la loi oblige les entreprises multinationales françaises de déclarer publiquement leurs résultats pays par pays. Cela permettrait de mieux suivre les circuits d’évasion fiscale par le jeu des échanges entre filiales d’un même groupe y compris dans certaines destinations exotiques. Les réseaux sociaux ont fait tourner en boucle le récit de cet épisode. Puisque la mode est aux listes de noms, je rappelle donc celle des députés ayant voté la suppression de l’amendement sur le contrôle de l’évasion fiscale des entreprises : Majorité PS : Frédéric Barbier, Jean-Marie Beffara, Jean-Claude Buisine, Christophe Caresche, Pascal Deguilhem, Sébastien Denaja, Jean-Louis Dumont, Jean-Louis Gagnaire, Joëlle Huillier, Bernadette Laclais, Jean-Yves Le Bouillonnec, Viviane Le Dissez, Bruno Le Roux, Victorin Lurel, Frédérique Massat, Christine Pires Beaune, François Pupponi, Valérie Rabault, Pascal Terrasse, Jean-Jacques Urvoas. Opposition de droite LR et UDI : Gilles Carrez, Marie-Christine Dalloz, Véronique Louwagie, Frédéric Reiss, Charles de Courson.
L’évasion et la fraude fiscales sont au cœur du capitalisme financier. Les grandes banques sont notamment très gourmandes en filiales dans les paradis fiscaux. Tout le monde a retrouvé avec colère la Société Générale et ses 979 filiales dans différents pays concernés. J’y viens plus loin dans ce post. Au total, 365 groupes bancaires ont fait appel aux services du cabinet d’affaires Mossack Fonseca d’où sortent les listes de noms du « Panama papers » ! On retrouve tous les grands groupes bancaires ou presque : HSBC, UBS, Crédit Suisse, et évidemment la Deutsche Bank, toujours dans les mauvais coups. Avant le scandale des Panama papers, trois ONG françaises avaient révélé l’ampleur de la présence des grandes banques françaises dans les paradis fiscaux.
Cette étude a été publiée mi-mars par le Comité catholique contre la faim et pour le développement, Oxfam et le Secours catholique. Elle révélait que BNP, la Société générale, Banque populaire Caisse d’Épargne, le Crédit agricole et le Crédit Mutuel-CIC ont réalisé 5 milliards d’euros de bénéfices dans les pays à la fiscalité très arrangeante ! Les trois ONG écrivaient que « les activités des cinq grandes banques françaises dans leurs paradis fiscaux sont 60 % plus lucratives que dans le reste du monde. Ces chiffres doivent nous conduire à nous interroger sur l’usage que font les banques de ces territoires et la nature des activités qu’elles y mènent ou y localisent : transfert artificiel de bénéfices et donc réduction de leurs propres impôts, facilitation de l’évasion fiscale de leurs clients ou encore activités spéculatives et risquées, en contournement de leurs obligations réglementaires… ».
Comment ne pas voir aussi comment la caste s’est saisie de ce système pour s’enrichir illégalement, organiser la corruption ou soustraire à l’impôt ses lucratives activités ? Cahuzac, Balkany, Frédéric Chatillon, un très proche de Marine Le Pen, la Société Générale et combien d’autres structures et personnalités de ce type sont impliquées dans l’alimentation des paradis fiscaux ? Comme l’écrivent si justement Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot dans le Monde du mercredi 6 avril, « l’évasion fiscale est un des instruments de domination de l’oligarchie ».
Ils pointent notamment la règle exceptionnelle des poursuites judiciaires pour fraude fiscale en France. Aujourd’hui, le ministre des Finances dispose d’un droit de veto sur les enquêtes. Lui seul peut demander que des poursuites judiciaires soient engagées dans des affaires de fraude fiscale. Ce monopole lui permet aussi d’organiser des cellules de « dégrisement » ou de « régularisation » : les fraudeurs évitent ainsi un procès et une sanction pénale s’ils s’acquittent des arriérés d’impôts. J’ai bien l’intention d’inscrire la fin de cette règle dans mon programme de l’élection présidentielle. Les déserteurs fiscaux doivent être des justiciables comme les autres. La justice doit pouvoir enquêter même contre l’avis du ministre ! François Hollande a promis « des enquêtes ». C’est bien la moindre des choses. Mais sans la révision de cette règle, ces enquêtes pourront être enterrées par ce gouvernement ou le suivant. Sans compter qu’on se demande comment ces enquêtes fiscales pourront être menées alors que plusieurs milliers de postes de fonctionnaires des impôts ou des douanes ont été supprimés sous Nicolas Sarkozy et François Hollande.