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L’Europe allemande, hélas !

Le résultat des élections législatives en Allemagne est un événement dont l’onde de choc n’est pas près de se disperser. Dans ce pays aussi, le dégagisme s’est exprimé. Naturellement, cela se passe dans les conditions d’un pays où l’amortisseur générationnel joue à plein pour amoindrir tous les tranchants : peu de jeunes, beaucoup de personnes âgées très conservatrices et apeurées.

Les deux partis pivots du système ont subi un énorme revers électoral. Ils sont descendus en dessous de leurs seuils historiquement les plus bas. S’agissant de la social-démocratie, la pente est continue, en phase avec la dégringolade générale dont le logiciel programmatique est devenu totalement obsolète.

La progression des petits partis est la forme essentielle d’expression du désaveu qui a touché les grands. Et l’extrême droite a fait sa percée. Tout est lié. Pourtant en Allemagne comme en France la caste dominante semble saisie de stupeur. Elle l’est là-bas comme ici parce qu’elle aussi a cru à sa propre propagande. La grande coalition de la droite et des sociaux-démocrates a permis d’obtenir de longues années de ce qu’ils appellent la « stabilité ». C’est-à-dire, en réalité, un verrouillage implacable interdisant toute expression indépendante des salariés dont les droits ont été méticuleusement piétinés pendant toute la période. Dans les mêmes conditions, ce pays de personnes âgées a vu se produire une hémorragie de 25 000 jeunes par an le quittant sans un mot de protestation publique. Il a vu sa population décliner, sa pollution augmenter, son industrie continuer à se concentrer dans quelques branches d’activités, son appel à l’immigration présenté comme le recours absolu à sa dépopulation, sans une pause pour en débattre.

Comme d’habitude, la grande coalition, appuyée sur un couvercle médiatique absolu, a pu penser qu’il n’y avait aucun désaccord. Et même qu’un grand consensus existait comme l’affirmaient les commentateurs français. Tout cela parce qu’il ne restait plus aucun espace de contestation possible. La caste a pu croire qu’elle n’en paierait donc jamais le prix. À présent, c’est une page toute nouvelle qui commence. Toutes les tares soigneusement masquées par la propagande enthousiaste de toute l’Europe vont apparaître au grand jour. D’abord celle qui concerne la faiblesse des équipements publics et des installations collectives de l’Allemagne comme résultat d’une politique aberrante de diminution du budget public et de refus d’investissement. Mais on va voir surtout quel mélange terrifiant donnera une population vieillie et craintive combinée à une population immense de pauvres et de salariés sous-payés.

L’extrême droite a fait une percée sur la question de l’immigration nous dit-on. C’est rarement aussi simple. En tout cas elle a fracassé le consensus que la droite et les sociaux-démocrates avaient répandu dans les têtes comme une drogue. L’immigration n’a pu prendre cette importance dans le débat qu’en raison de la violence du dénuement qui s’y trouve déjà et de l’opposition de chacun contre tous qui est la signature de ce type de situation.

À mes yeux, l’évidence est de retour : l’Allemagne va redevenir un sérieux problème pour l’Europe. Mais a-t-elle jamais cessé de l’être ? L’égoïsme de la caste dominante allemande est certainement le plus aigre et le plus violent de toute l’Europe. Le mauvais feuilleton de l’esprit dominateur de la caste en Allemagne a repris à la fin des années quatre-vingts avec l’annexion de l’Allemagne de l’Est par l’Ouest. Il a été payé un prix exorbitant partout Europe et d’abord par la France. Nous avons connu des années de taux d’intérêt exagérés du seul fait d’une décision allemande unilatérale d’annexer son voisin et de créer une parité monétaire absurde entre la monnaie circulant à l’Est et à l’ouest. Puis, sous l’autorité de Gerhard Schröder l’Allemagne s’est lancée dans une politique de déflation salariale  qui lui a permis de cumuler sur le dos de tous ses partenaires des excédents commerciaux monstrueux. Après ces deux épisodes de très mauvais voisinage a commencé cette période terrible ou Merkel et Schäuble ont posé un talon de fer sur la gorge de tous les pays : la règle d’or et les politiques d’austérité publique.

L’inconscience et l’irresponsabilité des dirigeants français est la principale cause de ces comportements. En effet, les gouvernements allemands n’ont fait que défendre l’intérêt de leur pays compris au sens le plus étroit. Mais les dirigeants français étaient obnubilés par le fait que, grâce aux directives allemandes présentées comme des nécessités européennes, ils obtiendraient des reculs du salariat le plus résistant d’Europe : les Français. Ils ont donc tout cédé, tout abandonné et renforcé sans cesse l’arrogance du gouvernement allemand. Deux présidents français successifs ont donné ce très mauvais signal : Sarkozy avec le traité de Lisbonne après le vote « non » au référendum de 2005, François Hollande avec le traité budgétaire après avoir dit qu’il le renégocierait.

Lorsque j’ai publié mon livre Le Hareng de Bismarck, je fus accablé par les sarcasmes de la bonne société médiatico-politique. Ce serait de la germanophobie, Bla-Bla-Bla. L’infâme Cohn-Bendit prétendit même avoir lu sous ma plume le terme de « boche ». Ce fut une des premières manifestations de cette méthode qui sera ensuite généralisée. Un indigné de circonstance dit avoir lu ceci ou cela et toute la bande des bavards à gages sort de sa boîte pour hurler en cadence. S’agissant de l’Allemagne, c’est frappant. Tous ceux qui se sont risqués à une critique ont eu droit à ce traitement : Montebourg, Bartolone, combien d’autres autant que moi ?

Pendant ce temps, en Allemagne, les dirigeants et les journalistes ne se sont jamais privés d’injurier lourdement l’Europe du sud. Cela rajoute à la séduction que ces gros lourdauds exercent sur la caste française qui a pour coutume de regarder de haut le sud et les méridionaux en général. Ici, il est vrai que les couches profondes de la caste sont épaisses : aux traces ineffaçables de la collaboration s’ajoute la traditionnelle haine du peuple qui est un des apanages étranges de la germanophilie française. Celle-là même qui lui faisait dire « plutôt Hitler que le Front Populaire ». Haine dont on a vu qu’elle pouvait aller jusqu’au révisionnisme quand ceux-là nient le rôle de la résistance populaire dans la lutte contre les nazis comme ils viennent de le faire pour nous flétrir.

Comme on le sait dorénavant, Merkel doit composer une coalition pour pouvoir gouverner. Le SPD (PS) ne veut plus de la grande coalition. Mais cela n’a aucune importance. La disqualification de la « gauche » allemande est certes moins avancée que celle de la France, mais la pente est la même. Die Linke a échoué à apparaître comme une alternative tant soit peu crédible. Les anciens bureaucrates du PC de l’Allemagne de l’Est ont pesé de toutes leurs lourdeur et combines avec les sociaux-démocrates tout au long de la mandature et encore pendant la campagne électorale. Exactement comme au groupe GUE du Parlement européen, qu’ils étouffent aussi lourdement qu’à la tête du PGE, car dans ce domaine tout est à eux.

Le centre de gravité de la sphère politique officielle est donc lourdement ancré à droite. Mais le soubassement de la société a commencé sa fragmentation selon ses propres voies. Les forces politiques en présence n’en captent rien. C’est pourquoi l’extrême-droite a devant elle quelques belles années. En effet, elle assume sa compétition avec la droite elle-même sans s’embarquer dans des compétitions auto-bloquantes sur la gauche, comme cela fut pratiqué en France par le FN. Dès lors, la CDU-CSU va marcher sous le fouet et dans une surenchère à droite. Comme d’habitude, la caste française s’alignera. Plus que jamais ce sera cette « Europe Allemande » que seuls les Allemands ont le droit de montrer du doigt. Et l’Allemagne une nouvelle fois va rendre l’Europe imbuvable.

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