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La Convention de la pérennité

La troisième Convention de la France insoumise vient de s’achever. Dans le train qui me ramène à Paris, j’ai retrouvé mon clavier pour rédiger ces lignes de bilan. Tout va bien, comme souvent. Un évènement de cette nature, c’est forcément et d’abord un moment humain. Celui de la longue préparation invisible de toutes les conditions matérielles, dont l’essentiel est réalisé par nos propres moyens. C’est cette énorme activité pour réaliser un hébergement militant qui a permis à quatre cent personnes d’être accueillies chez l’habitant. Ou encore ces seize lignes de bus organisée par Corinne pour acheminer ces centaines d’insoumis à bon port. Et il y a ceux qui s’en souviendront toujours, comme ces lillois dont le bus va d’une péripétie à l’autre jusqu’à prendre quatre heures de retard. Et tous ceux qui, arrivent comme des fleurs pile poil à l’heure mais ne connaissent strictement personne au départ et repartent en bande de copains-copines. Puis sur place, ce sont ces centaines de volontaires pour tenir tout en ordre et cette centaine de membres affectés à la sécurité des personnes et du lieux.

Et je n’oublie pas les professionnels techniciens, le comité d’organisation. Et Bastien et Manuel aux longues jambes, allant et venant du matin au soir, les « Patrice », aux commandes de l’évènement avec Isabelle, les filles du staff du village militant pour l’accueil des groupes d’appui avec Coline, ou la régie où règne Sophia, les « Michel »  rois des bricoleurs, tant et tant d’autres figures. Tant et tant d’autres séquences. Tout cela c’est la Convention, ses fous rire et ses énervements, ses liens humains resserrés ou créés. D’une Convention à l’autre, des réflexes s’acquièrent, des gestes se spécialisent, des disciplines se peaufinent. Et moi dans ma loge, je ne m’occupe plus de rien, je reçois du matin au soir des délégations étrangères, des figures du mouvement ou les très vieux amis qui veulent juste m’embrasser et me souhaiter du courage.

En tous cas, l’étape politique nécessaire au lendemain de la série électorale a été franchie. Notre but était de mettre en place la nouvelle séquence de notre vie collective. Sur le plan de l’histoire longue, celle que j’ai vécue et parfois dirigée, ce moment est le plus délicat. De quoi s’agit-il ? La lutte qui a construit le socle électoral autonome de sept millions de voix et constitué le groupe parlementaire qui nous inscrit sur la grande scène publique des institutions aura duré neuf ans. À présent nous sommes la première force d’opposition populaire. Comment pérenniser ce que nous sommes ? Comment nous inscrire dans la longue durée ? Comment incarner l’étape suivante dans l’Histoire. Comment devenir la force permanente de référence après l’ère du PC au lendemain de la guerre, celle du PS puis le feu de paille des Verts ? Le programme est le socle de cette continuité. Mais il ne peut suffire. Cet été j’ai publié ici un texte pour nous ancrer dans l’histoire profonde des idées, en montrant notre attache dans le courant de l’humanisme politique. Je crois aussi que la « théorie de la révolution citoyenne » fera son chemin comme identifiant et référence collective. Mais pour autant la forme de l’organisation, ici celle du Mouvement, ne peut-être un à-côté purement technique de ce que nous entreprenons.

J’ai déjà dit ici comment le « Mouvement » était à l’acteur social qu’il incarne, « le peuple » du vingt et unième siècle, ce que le parti était à la classe qu’il voulait conduire de la fin du dix-neuvième siècle à celle du vingtième siècle. Nous avançons par approximations successives. Nous venons de lui donner une forme ordonnée durable. Cependant, je ne voudrai pas laisser croire ici que tout ce que nous avons engagé procède depuis le commencement d’un plan dont les détails auraient été délibérés, je ne sais où par je ne sais qui. Nous avons avancé pas à pas.  Notre manière de voir est aussi une leçon de l’expérience concrète. Nous allons continuer comme ça. Nous allons rester évolutifs, en permanence. Car la matière que nous traitons : l’action populaire et les circonstances particulières de l’Histoire concrète sont nos inspirateurs et parfois nos maitres. Peut-être que si la direction actuelle du PCF n’avait pas voulu jouer aussi perso, si elle n’avait pas cherché à toutes les occasions à s’approprier électoralement tout le travail du Front de gauche, si elle n’avait pas tant aimé ces lamentables combinaisons avec le PS, nous n’aurions pas été conduit à imaginer de nous passer de lui pour pouvoir avancer. Peut-être que s’il n’avait pas méthodiquement paralysé toute tentative de construction du Front de gauche à la base par adhésion directe, nous n’aurions pas été poussés à inventer toute l’architecture que nous avons mise en place depuis. C’est elle qu’il s’agit d’inscrire dans la stabilité.

Je signale tout cela non pour nous en plaindre. D’une certaine façon, nous pourrions plutôt remercier les circonstances qui nous ont poussés à aller au bout de nos théorisations, plus vite et plus fort que nous ne l’aurions imaginé. Personne au Mouvement ne regrette l’ancienne gauche, ses divisions, ses conflits de personnes ses appareils nécrosés. Je ne le dis que pour souligner combien les circonstances gouvernent souvent de façon des fois imprévues. Mais elles accomplissent une part des nécessités qu’elles contiennent d’autant plus facilement que des brèches s’ouvrent, même fortuitement. Ici, cela tient à la poignée d’entre nous qui avait l’expérience permettant d’avancer sans se laisser tromper par les apparences et les jeux cyniques qui se sont joué autour de nous. Mais il est certain qu’on ne peut dominer ces circonstances si l’on ne se gouverne pas d’après des principes plutôt qu’avec des calculs. Ici il s’agit de poser clairement le but que l’on veut atteindre.

Notre troisième Convention n’avait pas d’autre but que de pérenniser « La France Insoumise » en fixant la doctrine de fonctionnement pour la mettre en mouvement. Pour un observateur distrait, où est le problème délicat à traiter ? Pourtant il y en a un. Celui que j’ai pointé sans cesse. 580 000 soutiens à notre programme et à ses candidats ne veulent pas dire qu’ils acceptent de se considérer comme un tout collectif. Entre l’état de « soutien » et celui de « militant », il y a toute sorte d’états et de situations d’engagement. Chacun doit être respecté comme tel. L’amalgame ne se décrète pas, il se construit à son rythme lent. Au rythme de l’Histoire. En atteste l’écart entre ce nombre de soutiens et le nombre de votants. Ceux qui ont voté ne sont pas forcément ceux qui ont fait un don, ni ceux qui militent effectivement. Cette diversité n’est pas un échec, c’est une image réaliste de la bigarrure des formes d’engagement à notre époque. Je me fais un devoir personnel de protéger et de défendre cette diversité là.

Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas perdu notre temps. En partant de l’expérience acquise, en pérennisant ce qui a fonctionné depuis un an, nous avons fait un grand bond. En deux jours nous avons adopté une architecture d’organisation complète, une Charte de principes, et un plan de bataille. Sans un accrochage, sans un incident, sans une polémique, le plus naturellement du monde. Pendant que les idiots utiles glosaient sur le moral des insoumis, la popularité et ainsi de suite, 1600 personnes tranchaient des dizaines de questions de fonctionnement et de méthodes. Certes, tous les problèmes n’ont pas reçu leur réponse. Beaucoup doit être perfectionné ou même remis à plat. Mais l’essentiel est fait.

Voyons ce qui est acquis. D’abord un mode de convocation mêlant désignation par collège et par tirage au sort. Le procédé a franchi pour la troisième fois le cap d’efficacité et de légitimité qu’on attendait de lui. Puis le mode même de déroulement de la réunion s’est perfectionné. Nous savons qu’il pêche encore et mérite de sérieuses révisions. Je crois que nous savons où perfectionner ou réviser. Mais pour l’essentiel il fonctionne et son caractère inclusif donne satisfaction. C’est pourtant un mode opératoire qui se situe à dix mille lieux de tout ce qui se fait partout ailleurs. L’aide des instruments numériques et la gestion des interventions extérieures qu’il rend possible sont validées. Tout cela forme un corpus stabilisé. On doit perfectionner mais on sait dans quelle direction. Et surtout on a franchi le stade du simple prototype.

L’autre acquis important de notre troisième Convention est l’adoption du concept d’auto organisation et de ses techniques comme mode d’action privilégié par le Mouvement. C’est la fameuse méthode Alinsky, version améliorée et plus méthodique de « l’enquête-agitation » des années 70. La voici adoptée par la Convention pour construire de l’initiative et de l’action populaire. La démonstration technique et son apprentissage par 1600 personnes restera un moment fort dans son étrangeté par rapport aux rites habituels des réunions politiques de ce type. Je ne crois pas avoir vu de ma vie militante une séquence comme celle-ci dans une réunion de ce niveau ayant à accomplir une telle tache « constituante ». Pour la première fois depuis toujours, une assemblée politique a la modestie de se reconnaître en apprentissage. Elle a affiché qu’elle visait la qualité humaine de la relation qu’elle veut établir avec ceux auxquels elle s’adresse.

Une autre procédure décisive a également abouti. Ce n’est pas le moindre. Il s’agit de la façon de fixer le choix des campagnes à mener. C’est une question clef puisque le Mouvement repose sur le fait que l’action le fédère comme elle fédère ceux à qui elle s’adresse. Certes, le mécanisme en amont peut être perfectionné. Mais l’essentiel est acquis. Il y a une phase de collecte des propositions. Ici ce fut par l’étape « boîte à idées ». puis une phase de consultation par vote. Enfin une phase de préparation collective en Convention.

C’est beaucoup d’acquis et de décisions. Ils sont venus naturellement. Pourtant la pression n’a pas manqué pour nous ramener aux anciennes cases de l’activité traditionnelle.

Du coup, le reste de nos travaux parait plus simple. Ce n’était pourtant pas le moins délicat. Et ce n’est pas le moins important. Nous venons de nous doter d’une « assemblée représentative » du mouvement. Elle prend place entre deux « Conventions ». Le tirage au sort continuera de fournir l’essentiel des effectifs. Il n’y a plus de contestation de ce mode d’inclusion. Il remplace les anciennes méthodes clivantes de l’élection interne. Pas de candidature, pas de vote qui exclue et mortifie, pas de majorité et de minorité, aucune raison de fabriquer des conflits théoriques pour habiller les conflits de personne. Juste se déclarer prêts a être tiré au sort. Et à l’être. Une méthode qui ne va pas de soi si évidemment. Il fallait déminer. Pour parvenir à cette acceptation il fallait que soit sécurisée la présence et la représentativité des « espaces » qui composent également le mouvement. Dès lors il n’y a plus aucun enjeu de pouvoir tout au long de la chaîne qui commence avec l’échelon de base qu’est le groupe d’action, se prolonge dans la Convention, les comités de livrets thématiques et l’assemblée représentative. Le bâtiment est fini et couvert. Le gros œuvre est accompli et une bonne part du second œuvre. Reste à faire vivre.

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