L’état de béance du pouvoir

Ces temps derniers, je n’aurai guère eu de temps au clavier. Mais comme j’ai eu maintes occasions de m’exprimer et d’être diffusé en audiovisuel, j’avoue que je m’y perds entre ce que j’ai dit, où je l’ai dit et ce qui est disponible encore à cette heure. Au demeurant, toutes les formes d’expression ne se valent pas, ni au moment où l’on conçoit le message, ni au moment où on le délivre. J’en suis encore à considérer que, pour ce qui est de la pensée politique, l’écrit reste la forme supérieure. Elle oblige à la réflexion approfondie celui qui le conçoit et permet la mise à distance pour qui découvre le message.  

J’écris dans le train du retour de Montpellier. J’y suis allé faire une conférence au département de science politique de la fac de droit : « L’écosocialisme pour maitriser le futur ». J’avais fait déjà cette même conférence ce mardi à Toulouse. Je suis très impressionné par le nombre des étudiants qui se déplacent à cette occasion, et par l’extrême gentillesse de l’accueil qui m’est réservé par une génération pour le reste bien piquante. Bien sûr, je trouve aussi étrange que vous l’idée d’avoir calé ces deux rendez-vous et leur éprouvant aller-retour, dans la semaine de la session du parlement à Bruxelles. Et tout ça au lendemain du dimanche de fin d’une campagne aussi harassante. Et à la veille de la suivante… J’ai oublié quand et pourquoi en acceptant ces invitations j’ai proposé ces dates. Mais, en fait, j’en suis enchanté. Quelque chose de la fraicheur du public me recharge la batterie et c’est une joie pure pour moi de me dire que je transmets le virus à la génération suivante. Le seul reproche que je me fais est l’affreuse longueur de mon exposé.

Cette semaine aura vu l’Histoire de notre pays s’accélérer dans des conditions très inattendues. Je parle donc un peu et davantage des opportunités qui se dessinent dans le chaos qui s’est abattu sur la gauche traditionnelle. Je promets d’être bref. De toute façon, je dois encore préparer le rapport politique du prochain Bureau national du PG puisque Martine Billard m’a demandé de le faire. Quatrième dimanche sans pause.

Le gouvernement météorite

1Personne ne s’attendait à un changement de Premier ministre, à chaud. Personne ne s’attendait à la sortie des Verts hors du gouvernement. Donc, en 24 heures, le PS a été mis en débâcle et son principal allié a quitté les rangs de sa cause. Les mouches médiatiques ayant changé d’ânes, la formidable crise que déclenche la catastrophe électorale dans les rangs du PS s’enclenche dans le secret des souffrances muettes. Des milliers de gens salariés du système basculent dans ce qui s’apparente à un néant social et symbolique. Comme organisation collective, ce parti s’est effondré. Je ne crois pas qu’il se relève dans les semaines qui viennent. Au contraire.

Bilan : les solfériniens gouvernent seuls, sans base, sans parti et sans alliés. Leur système recevra donc seul, et sans capacité de résistance, la décharge suivante que va être l’élection européenne. Le score sera pitoyable. Dès lors, les conditions se réunissent qui font de ce gouvernement une météorite en puissance. Comment gouverne-t-on un pays développé avec un chef d’État à deux pour cent de « très satisfaits », une majorité parlementaire étrillée aux élections locales dans laquelle se présentaient la moitié des membres du gouvernement et qui, après un changement de Premier ministre, reçoit une deuxième et écrasante sanction ? C’est tellement mal conduit et tellement étrange que le landernau bruisse de rumeurs : ce serait un calcul de Hollande pour se débarrasser de l’hypothèque Valls, ce serait une ruse pour être obligé de dissoudre et faire prendre en charge à la droite le plan d’austérité signé avec la Commission européenne, et blabla… Je ne crois rien de tout ça. Ce serait supposer un plan et des visées de long terme. Ce serait presque trop beau. En fait, ce changement de gouvernement est un acte de panique. Un fusil à un coup dégainé pour parer au plus pressé. Aucun d’entre eux ne s’est posé la question que j’ai posée ici et que2 formulent comme moi, tous ceux, de tous bords, qui savent juste les deux ou trois choses que l’Histoire enseigne sur la façon dont un État se disloque parfois faute de tête à sa tête.

De même j’entends dire ici ou là que les barons locaux ne vont pas laisser le drame se dérouler jusqu’à son terme avec la série noire annoncée : les européennes, les sénatoriales, les cantonales et les régionales dans l’année qui vient. J’objecte que pour s’opposer à quelque chose il faut avoir des raisons et des moyens communs de le faire. Où sont-ils au PS aujourd’hui ? Ce n’est pas tout. Il faut aussi des cadres, des lieux de décisions et des rites qui le rendent possible. Tout cela n’existe plus depuis longtemps au PS. Ni le bureau national, ni le conseil national ne signifient plus rien pour qui que ce soit. Ils sont désertés et c’est le règne des deuxièmes couteaux que méprisent souverainement les grands barons qui doivent agir. La décomposition sera la règle, c’est-à-dire le « sauve qui peut » individuel et sans principe. J’ai déjà noté ici comment pendant que les « journalistes » médiacrates commentaient les sondages bidons et, une fois de plus, faux, les radars médiatiques étaient resté incapables de repérer l’ampleur nouvelle des dissidences locales, parfois leur multiplicité dans une même ville, et la puanteur de certaines d’entre elles. Cette débandade, cette décomposition nous met tous en danger. Car, n’en déplaise au narcissisme solférinien, ils ne sont pas seuls au monde. Droite et extrême droite sont regonflés à bloc par ces épisodes et par la béance du pouvoir qu’ils sont aussi capable que nous d’analyser.

Une opportunité politique pour l'autre gauche

Cette dislocation est aussi une opportunité. Toute l’architecture de la gauche est changée. La sortie du gouvernement décidée par le Verts ouvre la possibilité de construire un nouvel arc de force très large, indépendant du PS. De là peut naître cette majorité alternative à laquelle nous travaillons. Sinon, pourquoi les Verts auraient-ils quitté le gouvernement ? Pour s’isoler ? Selon moi, la jonction se fera aussi 5certainement que la sortie des Verts était inéluctable. Evidemment l’addition des forces ne se déroulera pas, cette fois-ci, comme aux épisodes précédents avec les autres forces rencontrées sur notre chemin. Le Front de Gauche est au lendemain de municipales menées de façon incohérente. Il est en plus mauvaise posture et moins puissant électoralement qu’EELV. L’admettre, c’est partir du bon pied. En tirer toutes les conséquences sera la mise au pied du mur de notre intelligence de la situation. D’autre part, ce n’est pas seulement une stratégie qu’il s’agira de valider mais bien plutôt un contenu, des éléments de programme. Ce ne sera pas le plus simple si, comme je crois qu’il faut le faire, nous voulons entrainer aussi la totalité des composantes du Front de Gauche dans cette avancée. Cette discussion sérieuse est indispensable pour éviter le retour au système des accords sur des textes « fourre tout » comme le PS en a signé avec EELV avant la présidentielle, au prix de la confusion dont on se souvient.

En tous cas, la masse critique peut-être atteinte qui permettra de faire basculer un secteur significatif du PS de notre côté. Rien de cela ne peut se faire dans le très court terme. Mais il faut s’y atteler avec sérieux pour ne pas perdre de temps. D’ailleurs, c’est engagé. Les premiers dîners en ville sont encourageants. Bien sûr, la clef du succès est ailleurs. Il faut que le terrain reprenne confiance en soi. Autrement dit, il faut que l’abstention massive comme les électeurs du Front de Gauche se donnent un contenu actif et offensif. La manifestation du 12 avril va être un formidable accélérateur de ce processus. C’est évidemment une manifestation de mobilisation sociale contre le contenu de la politique d’austérité. Donc, on le dira comme on veut, c’est une manifestation contre l’action de ceux qui la mettent en œuvre. Sa préparation a été assez méticuleuse, du moins autant que son organisation et ses méthodes de déclenchement. Mes lecteurs savent à quoi s’en tenir je n’y reviens donc pas sinon pour renvoyer à mes billets qui en traitent déjà. N’empêche que si on veut bien observer comment la date se combine avec le contexte, on peut conclure que nous avons pris la bonne décision.

Valls et le grand marché USA-Europe

Qui sera le ministre du Commerce extérieur ? Cette bataille de domaine d’autorité entre Arnaud Montebourg et Laurent Fabius a duré toute la journée de jeudi. Manuel Valls a finalement choisi. C’est Laurent Fabius, le ministre des Affaires Etrangères, qui s’occupera aussi du Commerce extérieur, et non le ministre de l’Economie. Le message serait-il : les diplomates français deviennent officiellement des 3représentants de commerce au profit des multinationales françaises ? C’est plus grave. Le commerce est un élément de la stratégie géopolitique du pays. C’est une confirmation. Mais dans le contexte, cela doit aggraver nos craintes au sujet du projet de Grand Marché Transatlantique entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique. Depuis plus de cinq ans, je dénonce ce projet d’accord de libre-échange transatlantique comme la volonté de construire une « OTAN de l’économie ». C’est-à-dire d’inféoder toujours plus l’Union européenne et la France aux intérêts économiques des Etats-Unis d’Amérique comme nos intérêts militaires leur sont inféodés par le biais de l’OTAN. Le rattachement du Commerce extérieur aux Affaires étrangères n’est pas neutre dans ce contexte. Il montre l’objectif politique d’un tel accord de libre-échange au-delà de son contenu strictement économique.

Cet aveu rend encore plus insupportable l’opacité qui entoure ce projet de Grand Marché Transatlantique. On se souvient que le 11 février dernier, aux Etats-Unis, François Hollande avait exprimé sa volonté d’« aller vite » sur ce projet pour éviter « une accumulation de peurs, de menaces, de crispations ». Michel Sapin a confirmé que le gouvernement a peur du peuple. Jeudi 3 avril, le nouveau ministre des Finances était interrogé par un auditeur dans la matinale de France Inter au sujet du Grand Marché Transatlantique. Plus précisément, l’auditeur demandait si un projet d’une telle ampleur ne méritait pas un référendum. C’est une exigence que le Parti de Gauche a exprimé dès le mois de mai 2013, avant même l’ouverture des négociations entre la Commission européenne et les Etats-Unis d’Amérique. La réponse de Michel Sapin a été stupéfiante de mépris pour le peuple. Après avoir rappelé que « c'est un des fondements de l'Europe que d'être un grand marché », Michel Sapin a affirmé, sans argument que « le référendum n'est pas la bonne réponse démocratique a une question comme celle-ci ». Pourquoi ? Vous ne le saurez pas. Ou plutôt, on le comprend à la suite de la réponse de Michel Sapin. Pour Michel Sapin, « Cela6 ne veut pas dire qu’il ne doit pas y avoir débat. Il doit y avoir débat sur tous les sujets difficiles, parce que les Français doivent pouvoir comprendre ce qui se passe. Trop souvent, et depuis trop longtemps, il ne comprennent plus les enjeux, ils ne comprennent donc plus les réponses qui sont apportées ». Michel Sapin ne veut pas de référendum sur le Grand Marché Transatlantique parce qu’il considère que le peuple est trop bête pour comprendre ?

Pendant ce temps, ce projet continue d’avancer dans les salons de l’oligarchie. Ainsi se tiendra, jeudi 10 avril prochain, à Paris, une rencontre entre dirigeants de l’Union européenne et représentants patronaux européens et états-uniens. Cette rencontre est organisée par les journaux Washington Post et The European Voice. Elle bénéficie du soutien total de la Chambre de commerce états-unienne en Europe (American Chamber of Commerce to the European Union). Il y aura du beau monde ! La journée sera introduite par le Commissaire européen chargé de la négociation avec les Etats-Unis, Karel de Gucht, en personne. Elle sera conclue par la ministre suédoise du Commerce. Entre les deux, les participants étudieront comment « harmoniser les réglementations » pour « stimuler la compétitivité et créer une situation de concurrence équitable pour les entreprises de part et d’autre de l’Atlantique, en réduisant les coûts de mise en conformité et les fardeaux administratifs », selon les mots du programme de la journée. C’est ce dont 4discuteront Wolfgang Bernhard, membre de la direction du constructeur automobile allemand Daimler et Nani Beccalli-Falco, PDG de la filiale européenne de l’entreprise états-unienne General Electric.

Tout est au menu de la journée : la santé, les biotechnologies ou encore le numérique. Sur ce sujet, c’est le PDG de Google pour l’Europe de l’Est et du Sud, l’Afrique et le Moyen-Orient qui s’exprimera. De passage à Paris, il ne parlera sans doute pas de la fraude fiscale dont Google s’est rendu coupable en France pour une somme évaluée autour d’un milliard d’euros. Peut-être évoquera-t-il le sujet au détour d’un couloir avec le Secrétaire-général du ministère des Affaires Etrangères français, dont la présence est aussi annoncée ? A moins qu’il n’évoque les montages financiers d’évasion fiscale avec un autre intervenant de la journée comme Simon Cooper ? C’est le Directeur exécutif de la banque HSBC Global Commercial Banking, filiale du groupe HSBC cité dans plusieurs affaires d’évasion fiscale en Suisse, notamment au profit de près de 3 000 Français.

Le clou du spectacle pourrait bien avoir lieu vers 16h15. C’est l’heure à laquelle est prévue la table ronde sur l’ « Energie et les matières premières dans le marché transatlantique ». L’ambition est affirmée dès le programme de la journée : « nous analyserons dans cette session les impacts du TTIP (le nom officiel du GMT) sur l’énergie et les matières premières. Plus précisément, nous verrons si un accord pourrait faciliter les exportations de gaz naturel liquéfié vers l’Union Européenne, et si l’UE bénéficierait ainsi de la révolution du gaz de schiste aux Etats-Unis ». Pour discuter de cela, les deux orateurs sont de très haut niveau. On trouve ainsi Heinz Haller, vice-président exécutif de The Dow 9Chemical Company, multinationale états-unienne de la pétrochimie. Et Christophe de Margerie, PDG de Total !

Pour assister à ce rassemblement de grands patrons, il faut débourser 1 788 euros par personne. Ceux qui se sont inscrits avant le 14 mars ont eu droit à une ristourne de 200 euros. Même pas de quoi se payer une nuit dans l’hôtel où se tiendra la journée. Le prix d’une nuit dans une chambre de base à l’hôtel Shangri La est de 800 euros ! Et la plus grande suite se loue pour 25 000 euros la nuit. Soit 22 fois le Smic pour une nuit d’hôtel ! Un rassemblement est prévu devant ce repaire d’oligarques le jeudi 10 avril à 16h. Il est convoqué par le collectif national unitaire contre le Grand Marché Transatlantique. Il sera l’occasion de dénoncer les dangers d’un tel accord. Et le déni de démocratie que représentent l’opacité de la négociation et le refus d’un référendum exprimé par Michel Sapin. En tous cas une chose est claire : la bataille contre le GMT doit s’accélérer avec le gouvernement de Valls !

Condamnation de Marine Le Pen

Tête basse mains sales Marine le Pen est condamnée pour manœuvre électorale frauduleuse et diffusion d’un montage d’une image sans autorisation de l’intéressé. Je suis certain que si nous avions eu un intérêt médiatique plus puissant pour cette cause et ce procès, les juges de Béthune se seraient sentis plus libres de leurs mouvements. Car il leur a fallu beaucoup de courage pour prendre en charge jusqu’au bout cette affaire. Pas seulement du fait de l’ambiance qui règne sur place, et davantage encore à présent que les gros bras du FN se pavanent à Henin-Beaumont. Mais aussi du fait du désintérêt de la chancellerie pour 8une cause qui concerne pourtant l’intérêt général, la dignité et la régularité des élections en République. La réaction de madame Le Pen à l’annonce de sa condamnation a souligné cette pression. C’est à l’impartialité du tribunal qu’elle s’est attaquée. Elle l’a fait dans des termes qui ont soulevé l’hilarité documentée du blog de maitre Eolas.

Le rendu du jugement dans les médias a été intéressant de bien des façons. France 2, qui avait diffusé au journal de 20 Heures les documents qui ont fait l’objet du procès, a interrompu sa curiosité passionnée pour les reportages sur le FN. Vous n’en aurez pas entendu parler. J’en passe et des meilleures. Moi, je ne suis pas étonné. Mais autour de moi, les gens tombent des nues quand ils découvrent sur internet le jugement, le procès, son objet et l’omerta sur le tout. De mon côté, je reste sur ma faim. Pourquoi ma plainte au commissariat n’a-t-elle pas été transmise au parquet à l’époque ? Pourquoi celui–ci n’a-t-il pas été saisi par la chancellerie, alors que l’affaire avait fait son bruit à mon initiative ? Pourquoi ai-je du citer moi-même directement madame Le Pen pour obtenir que l’affaire soit jugée ? On ne saura rien. Le garde des Sceaux ne s’y intéresse pas. En attendant, c’est une première, comme le souligne mon avocate, Maitre Garrido. Cette condamnation est sans précédent pour un chef du Front National.  Son motif est spécialement grave. La dédiabolisée du journal « Le Monde » est condamnée pour « manœuvre frauduleuse » dans une élection ! J’y reviendrai. Mais la semaine prochaine on va voir encore autre chose : le rendu du procès que madame Le Pen m’a intenté pour l’avoir qualifiée de « fasciste ». Je ne crois pas qu’elle le gagne.

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