03.03.2022

Semaine suspendue, la guerre nucléaire en vue

Je n’écrirai ici que peu. Je parle déjà beaucoup. Les meetings et les émissions s’enchainent. Vous avez entendu mon discours à l’Assemblée. Vous avez suivi mes rappels à propos des alertes du passé. Je n’y ajoute rien ce soir. Mais le clavier est un moment à part. Et mon blog un outil avec lequel je fais ma vie politique depuis plus d’une décennie et bientôt deux.

Je fais à présent une escale avant d’autres notes qui vont bientôt trouver leur place ici. J’y travaille déjà. Je ferai le point sur nos partenaires politiques dans la bataille contre la guerre. Les liens repris avec l’opposition russe nous ont fait découvrir un tableau affligeant. Nous venons de rompre politiquement avec SergueÏ Oudaltsov parce qu’il s’est prononcé pour la guerre. Comme nous l’avions fait avec les Grecs quand Tsípras avait capitulé devant le mémorandum, nous avons aussitôt pris contact avec la minorité restée fidèle à l’idéal commun. Il s’agit d’Alexey Sakhnin. Journaliste et activiste russe, docteur en Histoire et société, c’est un intellectuel militant. Membre du Progressive International Council et de Socialists Against War. Cofondateur du Front de Gauche russe en 2005, et membre de toutes les directions jusqu’à sa démission dimanche 27 février dernier. Même si évidemment beaucoup moins médiatisé en Europe que les opposants fétiches des occidentaux comme A. Navalny, il a été un rouage majeur, avec Sergueï Oudaltsov, en 2011, puis 2013, des manifestations ayant réuni des centaines de milliers de Russes contre le pouvoir de Poutine. En 2011 contre les résultats des élections législatives, truqués ; en 2013 contre l’autorisation donnée à Poutine de se représenter pour un 3e mandat Il n’a jamais cédé sur rien. Il a ensuite été en exil durant 5 ans en Suède, avant de rentrer en Russie. Il vient de quitter le Front de Gauche, en désaccord avec les positions de Sergueï Oudaltsov en faveur de la guerre en Ukraine. 

C’est un crève-cœur. Mais il est impossible de faire des compromis avec la ligne des va-t-en guerre quelle que soit leur nationalité. Nous nous sentons liés à l’opposition à Poutine depuis longtemps. J’étais allé à Moscou faire une conférence de presse avec le Front de gauche russe. Mais à cette heure notre place est aux cotés des Russes qui résistent à la guerre. Simples citoyens dans la rue, universitaires, syndicalistes du deuxième syndicat du pays, notre place est bien entourée. Ils sont l’honneur de l’idée que nous nous faisons de la dignité de citoyen du peuple humain en général : ils choisissent à leurs risques et péril de s’identifier à ce qui est bon pour tous et pas seulement pour les Russes ! Lisant Alexey Sakhnin, qui n’aura pas les larmes aux yeux pensant à ce qu’est une vie de militant quand il lui faut « tout reconstruire à zéro ». Nous avons connu cela. Mais la lutte paye toujours. Et il ne faut jamais faire de compromis avec son identité politique. Bonne lecture. 

Pourquoi je quitte le Front de gauche russe

Par Alexey Sakhnin

J’ai été à la fondation du Front de Gauche. J’ai été l’un des cofondateurs de cette organisation en 2005, et depuis j’ai toujours été considéré comme «l’un de ses leaders». En tout cas j’ai été élu à tous les organes de direction de toutes les Assemblées du Front de Gauche. J’ai partagé avec cette organisation les succès des manifestations de 2012, puis les années d’interdiction et de répression. Je prends la responsabilité de toutes les actions que nous avons menées, de toutes les mesures que nous avons prises au cours de ces 17 années. Et ce jusqu’à hier. 

Aujourd’hui je quitte cette organisation. Bien sûr c’est lié à la guerre. Aujourd’hui, après d’âpres discussions, le Conseil du Front de Gauche a adopté à la majorité une résolution sur ce qui se passe en Ukraine. En dépit de toutes les manœuvres rhétoriques, cette résolution signifie le soutien à cette guerre criminelle. La résolution alternative que j’ai proposée et qui condamne catégoriquement la politique impérialiste du pouvoir russe n’a reçu que 20% des voix. Après cela, je ne peux plus rester membre du Front de Gauche. 

Je ne regrette pas ce que j’ai fait durant toutes ces années. Je considère que le Front de gauche a été le projet politique de gauche le plus brillant et le plus sérieux dans un néant politique. De fait, nous étions alors les seuls à formuler une stratégie claire pour les gens ayant des convictions de gauche et démocratiques. En Occident on a ensuite appelé cette stratégie « populisme de gauche ». Or c’est justement cette stratégie qui nous a permis d’avoir de l’influence sur le mouvement démocratique de 2011 et 2012. Malheureusement cette stratégie a échoué – la classe dirigeante a tout simplement supprimé le vernis démocratique et est passée à une dictature radicale. Il était impossible de contrer cette dictature par la rue ou par les urnes. 

Je ne regrette pas la position adoptée par le Front de gauche durant l’année tragique 2014 en Ukraine, position à laquelle j’ai largement contribué. Nous avons alors condamné les deux parties prenantes du conflit et avons appelé les peuples concernés par ce conflit à ne pas se dresser les uns contre les autres mais à se dresser contre ceux qui les ont poussés à commettre ce meurtre fratricide. En tant que vrais communistes et socialistes nous avons reconnu le droit des peuples à l’autodétermination. Nous avons condamné la guerre monstrueuse du Donbass et les attaques de l’armée ukrainienne contre des villes pacifiques. Personnellement je vivais à cette époque-là en Suède et cette position m’a coûté cher. Mais aujourd’hui je considère que cette position était juste. Et aujourd’hui quand les agents de propagande du Kremlin, accusés d’avoir déclenché une guerre fratricide, répondent « pourquoi vous avez gardé le silence quand on tuait des enfants dans le Donbass », j’ai parfaitement le droit moral de répondre : « moi je n’ai pas gardé le silence ». 

Mais aujourd’hui c’est la clique de Poutine qui a déclenché une agression armée d’une ampleur sans précédent. Et c’est là le fait principal. On ne peut pas cacher ce fait en disant lâchement que ce sont les manœuvres des impérialistes américains (et de fait ces manœuvres existent) ; ou que ce sont les crimes de l’ultradroite ukrainienne (et ces crimes sont nombreux) ; ou justifier le sang des innocents de Kharkov, Odessa, Kiev par le sang versé à Donetsk et à Lougansk. 

Je ne veux pas dire du mal de mes anciens camarades. Je comprends bien leurs motivations. Beaucoup d’entre eux ont simplement peur. Parfois, par lâcheté, on cache sa peur sous de la sagesse politique, pour s’assurer d’avoir la possibilité d’agir librement. (NDT : en russe : Parfois on cache lâchement la peur sous de la sagesse politique, en racontant qu’il est nécessaire de pouvoir garder la possibilité d’un « travail légal ». Remarque : en russe il n’y a pas d’article d’où une difficulté supplémentaire pour traduire cette phrase.) Il y a aussi ceux qui, simplement, ne peuvent pas analyser dans leur morale ce qui est en train de se passer pour qualifier leur propre pays d’agresseur. Ces gens-là vont se cramponner à des débris de clichés de propagande pour ne pas voir l’essentiel. Durant ces quelques dernières années le Front de Gauche a coopéré étroitement avec le parti communiste de la fédération de Russie – c’était l’unique tactique possible pour agir en Russie dans le contexte de la fin de l’ère Poutine. Et cette coopération nous a coûté cher : de plus en plus de gens qui ont rejoint l’organisation partageaient avec le parti communiste officiel la culture politique de l’opportunisme frileux, culture épicée de démagogie patriotique. Finalement, beaucoup partageaient ma position, mais ont voté pour la ligne opposée, « pour ne pas faire scission ». C’est bête et mesquin, mais dans une situation de chaos les gens se raccrochent à ce qu’ils peuvent.

Je ne dis de mal de personne, mais j’exhorte tous ceux qui ne partagent pas la position frileuse et myope adoptée par le Conseil du Front de Gauche, à sortir de l’organisation. « Laissez les morts enterrer leurs morts». Le front de Gauche a été génial par le passé. Aujourd’hui c’est un vieux tas de ruines moroses.


Devant nous il reste encore et toujours cette alternative tragique : socialisme ou barbarie. La société de l’inégalité et de l’exploitation révèle son vrai visage (NDT : littéralement «se révèle sous ses derniers traits ».) La guerre a déjà commencé. Nous avons réellement besoin d’un front des peuples pour la paix, l’égalité, la liberté et le socialisme. Malheureusement, pour construire ce monde et ce front, il faudra partir de zéro. 

Aleksey Sakhnin,
Ex-membre du comité exécutif et du Conseil du Front de Gauche

Petit coup d’oeil sur vaste campagne

J’ai eu peu de temps au clavier ces dernières encablées. À la vérité je n’ai pas eu de pause depuis le 3 janvier. Ni mes proches qui animent la campagne. Ni ceux qui ont couru après les signatures de parrainages de maire sous la houlette de Guilhem Serieys appuyé par l’expérience de Gabriel Amard. Ni les centaines de personnalités qui courent la campagne pour tenir des réunions publiques faire des porte-à-porte programme ou inscription sur les listes électorales. Ce déploiement est vraiment la marque de fabrique de cette campagne. Jamais nous n’avons tenu autant de réunions publiques ni mis en avant autant de femmes et d’hommes. Les escadrilles sur les réseaux sociaux tiennent le ciel jour et nuit sans trêve depuis des semaines et cette présence s’amplifie sans cesse. Nous en sommes tous ébahis. À l’approche de la date, l’intérêt et l’enthousiasme progressent à vive allure. Nous sommes passés à des cadences d’évènements et à des niveaux de remplissages de salles des hauts jours. Ne l’oublions jamais : le mouvement insoumis est une formidable machine de combat. Sa discipline et sa cohésion ne reposent sur rien d’autre qu’un programme commun, une stratégie bien comprise par chacun et un poste de coordination expérimenté, économe de la peine de chacun. Il est certain que le ridicule de la concurrence est aussi un fort liant. Les autres ne font pas envie. Donc, partout agissent des bénévoles en nombre qui ne sont pas des amateurs, depuis la section du matériel au travail sans pause à la cellule des programmatrices (teurs) ou de la logistique. 

À l’entrée dans la séquence de la guerre d’Ukraine, la cohésion ne s’est pas abaissée d’un centimètre. Le contraire. Pourtant nous sommes comme tout le monde : des sujets sont difficiles à trancher. Comme l’envoi ou non d’armes aux Ukrainiens, l’ampleur et les cibles des sanctions, l’évaluation des moyens de pressions, l’exigence des nôtres de précautions à l’égard des uns et des autres parmi les protagonistes. On ne perd jamais de vue l’objectif central : la cohérence de l’argumentation et celle de la campagne. Cela aussi est un immense acquis durable pour notre formation politique au milieu de ces forces devenues résiduelles qui ne vivent plus aucune vie intellectuelle mais dans les haines internes et externes. Je suis certain que l’exemple ainsi vécu fortifie l’idée d’une « union populaire » comme formule de regroupement d’un pôle populaire alternatif capable d’être majoritaire.

Rapport du GIEC : l’harmonie ou le chaos

La guerre survient au pire moment. Nous voilà accaparés par un conflit susceptible de dégénérer en guerre nucléaire. Alors même qu’il faudrait s’unir face au chaos climatique. Les scientifiques du GIEC ont produit une énième alerte en ce sens. Leurs conclusions ont passé un nouveau cap de gravité. Pourtant, cela n’a pas fait réagir tous les candidats à la présidentielle. Je le déplore car il s’agit du plus grand défi auquel devra faire face l’Humanité. Je n’ai eu de cesse de le dire et de l’écrire : nous devons nous y préparer ! Les décideurs politiques doivent prendre leur part dans l’alerte et la mobilisation générale. Je résume donc ici les messages essentiels du GIEC. 

D’abord, le constat des scientifiques du climat se durcit. Ce deuxième volet du rapport du GIEC confirme des impacts généralisés et irréversibles du changement climatique. C’est le premier message clé. Le précédent rapport du GIEC, en 2014, estimait « seulement » que la probabilité de ces dommages allait s’accroître. Désormais, une partie des écosystèmes, tels que certaines forêts tropicales ou régions polaires, ont déjà atteint des points de non-retour. Entre 3,3 et 3,6 milliards d’humains vivent déjà dans des « contextes qui sont hautement vulnérables au changement climatique ». En clair, la moitié de l’humanité est déjà menacée. 

Les scientifiques constatent déjà les effets dans les Outre-mer : cyclones plus intenses, sécheresses plus fréquentes…  Et quoiqu’il arrive, ces impacts vont s’accroître. L’Europe du Sud, donc l’Hexagone, ne sera pas épargnée par la perturbation du cycle de l’eau. La Méditerranée est identifiée comme particulièrement fragile face à la montée des eaux. Les zones à risque de feu de forêt vont s’étendre. Les pertes de récoltes vont augmenter. Un habitant sur trois risque de manquer d’eau.

Certes, il n’est pas trop tard pour agir. Mais une partie de la bataille est déjà perdue. Selon les scientifiques eux-mêmes, « les actions à court terme qui limitent le réchauffement de la planète à près de 1,5 °C réduiraient considérablement les pertes et les dommages prévus liés au changement climatique […] mais ne peuvent pas les éliminer tous. »

Jusqu’à présent, le discours insoumis pouvait paraître trop exagéré aux oreilles de certains. Désormais, les scientifiques du GIEC tiennent peu ou prou le même langage. Ainsi, de leur propre aveu, « les demi-mesures ne sont plus une option ». Car chaque degré compte. C’est le deuxième enseignement clé de ce rapport. 

En effet, le chaos climatique arrive plus fort et plus vite que prévu. Les impacts se produiront de plus en plus simultanément, avec parfois des conséquences « en cascade » d’une région à l’autre. Le seuil de réchauffement de +1,5°C sera atteint autour de 2030, soit 10 ans plus tôt qu’estimé. Or, tout dépassement de la limite de réchauffement de +1,5° entraînerait des impacts irréversibles sur des écosystèmes essentiels tels que les récifs coralliens et les glaciers. 

Cela aura des répercussions directes sur la vie des êtres humains. La crise de l’eau est un exemple. Par exemple, au-delà du seuil de +1,5°C de réchauffement, les habitants des petites îles et des régions proches de glaciers manqueront d’eau douce. Alors le nombre de personnes exposées à des pénuries d’eau chroniques va dépendre de l’ampleur du réchauffement. À +2°C de réchauffement, 2 milliards d’humains seraient concernés. À +4°C de réchauffement, ce sera la moitié de l’humanité. 

Il faut donc s’adapter d’urgence. C’est le troisième message clé de ce rapport. L’adaptation est devenue une question centrale. Le temps presse : certaines îles ne peuvent déjà plus s’adapter. Message reçu : le programme l’Avenir en Commun veut « s’adapter au système de la nature ». Un chapitre entier du programme est consacré à décrire la méthode et ses points d’appui. Cette adaptation doit se faire dans deux directions. D’une part, il faut faire bifurquer nos façons d’échanger et de produire. Cela doit permettre de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et de limiter la prédation sur la nature. Nous avons deux outils pour cela. D’abord, la règle verte : celle-ci implique de ne pas prendre davantage à la nature qu’elle ne peut reconstituer. La protection collective des biens communs comme l’eau et les forêts des pollutions ou encore de la déforestation en est une traduction concrète. Pour mettre en œuvre la règle verte, nous comptons sur la planification dans chaque secteur. 

Mais s’adapter signifie aussi se préparer aux impacts concrets du réchauffement. Nous prévoyons pour cela un plan d’investissement et d’adaptation des infrastructures. Par exemple, les ouvrages d’art comme les ponts doivent être consolidés et les lignes électriques enfouies. Le réseau de canalisations sera réparé pour mieux économiser l’eau. 

En somme, nous devons donc à la fois « éviter l’ingérable » et « gérer l’inévitable ». J’emprunte cette expression marquante à un chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales. Elle résume l’enjeu du moment : l’harmonie ou le chaos. Évidemment, l’Avenir en Commun fait le choix de l’harmonie. Cela nécessite une mobilisation collective au nom de l’intérêt général humain. Un autre monde est possible dit mon affiche officielle. Plus que jamais, l’harmonie entre les humains et avec la nature est la clé de la paix.

Ça ne manque pas de sel

On m’a offert un pot de sel. C’était déjà curieux. Mais le petit papier accroché l’était encore plus : « on ne doit pas dénaturer le sel biologique ! ». Si l’objectif était d’interpeller, l’affaire est rondement menée. Naturellement, j’ai été voir de plus près. Sans surprise, c’est encore une histoire de règlement européen libéral. 

Celui-ci prévoit d’élargir la liste des produits pouvant obtenir un label bio. Le sel en fait partie. Mais au point de départ, seul le sel marin, produit par évaporation naturelle de l’eau de mer, devait être concerné. Cette possibilité d’obtenir une certification biologique aurait dû être la garantie d’une qualité et de méthodes de production écologiques. Le sel marin français est issu des salins de l’Atlantique et de Camargue essentiellement. Cette pratique artisanale remonte au moins à l’époque gallo-romaine. La récolte se fait toujours à la main et sans produits chimiques. Un millier d’emplois en dépendent en France. 

Cela devait les distinguer de toute autre production de sel, considérée comme une production minière. En effet, sur 7 millions de tonnes produites chaque année dans le pays, une infime quantité de sel de mer récolté de manière artisanale se retrouve sur notre table. Le reste est soit un sel marin récolté de manière mécanique auquel sont ajoutés des additifs, soit un sel gemme, c’est-à-dire minier. L’essentiel est destiné à l’industrie chimique et du plastique, à l’agro-industrie et au déneigement. Depuis 2019, les paludiers artisanaux français sont considérés comme des agriculteurs. 

Mais les lobbys du sel industriel ont réussi à mettre leur grain de sel dans le projet de texte européen. Désormais, la majorité des méthodes de production de sel dans l’Union européenne pourraient être éligibles au bio. Par exemple, le sel minier. Celui-ci est essentiellement produit en Allemagne, Pologne, ou encore Autriche. Certes, ce sel est très pur. Mais ses méthodes de production sont loin d’être durables. En effet, son extraction s’effectue par forage et utilise de grandes quantités d’eau sous pression. 

En clair, ce sujet oppose les pays d’Europe du Sud producteurs de sel marin artisanal (France, Espagne, Portugal) et les pays plus à l’Est producteurs de sel minier. L’Association Francaise des producteurs de sel marin de l’Atlantique (AFPS) a tiré la sonnette d’alarme à juste titre. En effet, l’attribution d’un label bio à tous les producteurs de sel, y compris à bas coût social et environnemental, signerait l’arrêt de mort de la filière de sel marin artisanale française.  

Au-delà, cette histoire interroge le sens de la certification « bio ». C’est une question qui dépasse le seul sujet du sel. En effet, il est évident que l’agro-industrie cherche par tous les moyens à se repeindre en vert. S’immiscer dans les labels censés les débusquer fait partie de la stratégie. Le niveau d’exigence de ce label doit donc être augmenté. Sinon, le risque est celui d’une perte de légitimité totale de l’étiquette « bio ». 

La Commission européenne doit présenter une nouvelle mouture le 8 mars. En toute hypothèse, il faut espérer que le message lancé par les producteurs artisanaux à travers une résolution de l’Assemblée nationale adoptée le 23 février aura été entendu. En cas contraire, il faudra désobéir pour protéger les intérêts français. Le moment venu, nous appliquerons le principe de non-régression écologique et sociale : aucune norme européenne ne s’appliquera si elle est moins ambitieuse qu’une norme nationale. Nous mettrons en œuvre l’Avenir en commun quoiqu’il arrive.

« Le Monde » lit (aussi) dans votre dos

C’est une règle aussi vieille que la prise de parole : ne vaut que le « prononcé ». C’est-à-dire ce qui a été effectivement dit. Par exemple quand on distribue un texte avant une prise de parole où on le lit, seul compte ce qui a été vraiment dit. C’est une convention de respect pour l’orateur et d’honnêteté devant le public. Il n’y a jamais eu d’exception. Il fallait bien que cela soit violé un jour. Dommage que ce soit dans « Le Monde ». Ce quotidien n’est-il pas pourtant spécialisé dans l’art de faire des leçons de morale a tout le monde, confrères inclus ?

Voici l’histoire. Dans un papier d’ambiance, le journal rapporte comment j’ai été « hué » à l’assemblée nationale comme le rappelle un intertitre réjoui, sans autre appréciation sur un tel comportement compte tenu des circonstances. Puis il se gausse en annonçant que j’ai retiré une phrase de mon texte. Comment le sait-il ? Parce qu’un photographe m’a cliché à la tribune et que le journal « Le Monde » a payé pour avoir la photo et l’utiliser. Au diable la règle du « prononcé ». L’espionnage devient une nouvelle règle normale de fonctionnement.

Le ridicule est que le journal se sent autorisé à tirer des conclusions politiques de cette phrase retirée. Il n’y en a pourtant aucune. Je sais que l’intention de tous les atlantistes est de nuire à tous les non-alignés sur les éléments de langage de l’ambassade US. La déontologie professionnelle n’a plus rien à faire dans cette circonstance. Mais des gens qui lisent ce journal m’ont interrogé. Une fois de plus j’ai donc été placé devant le dilemme : faire de la publicité à une basse manœuvre en la dénonçant ? Ou bien me taire et partir du principe que de toute façon personne ne retient rien de ce genre de choses typiquement microcosmique.

J’ai fait le choix de relever ce procédé si discutable. Je le fais sur le ton de l’humour. Vous allez trouver ci-après le texte de mon discours en intégrale. Avec un jeu de rôle. En gras les mots rajoutés ou transformé et en raturé les passages supprimés. Vous pourrez donc comme un journaliste du « Monde » vous dispenser de tenir compte de ce que j’ai dit pour ne parler que de ce que je n’ai pas dit. Un journalisme créatif est ainsi à votre portée. Les faits ne sont plus rien. Seul le commentaire vaut. Le prononcé n’importe pas. Seul le non-dit a de l’intérêt.  Du wokisme journalistique ! De la cancel culture avancée.

Pour finir, à mon tour de vous dire pourquoi des phrases sont raturées jusqu’à la dernière minute dans un discours écrit. Comme vous le savez je ne lis (presque) jamais de discours écrit. Je n’écris qu’en cas de limite de temps un peu étroite ou de sujet à vif exigeant une précision absolue. L’obsession alors est de ne pas dépasser le temps prévu pour ne pas subir l’humiliation du micro coupé par le président de séance. Ce jour-là, j’ai enlevé l’équivalent d’une page tapée à la machine au dernier peignage du texte que j’avais écrit dans l’avion du retour de La Réunion. À mon banc, j’ai senti que c’était encore trop long. J’ai (pas mal) raturé. Pourtant à la tribune, dès la fin de la première page, j’avais déjà vingt secondes de retard. Il y avait 8 pages à lire. Cela signifiait qu’à cette cadence je débordais de presque trois minutes mon temps de parole. Cela n’est jamais accepté (à juste titre) par une présidence de séance. J’ai donc coupé encore en parlant, en sautant des phrases, en modifiant des mots, en faisant de raccourcis dans le texte. Vous allez voir d’ailleurs que les suppressions sont plus nombreuses et longues à mesure qu’on s’approche de la fin du discours et où s’affiche devant moi le débordement sur le compteur de la tribune. C’est une pratique habituelle et assez simple à manier au bout de deux décennies de discours devant des assemblées parlementaires. Tous ces changements n’ont aucune intention politique sinon de privilégier la possibilité de dire ce que je crois essentiel. Voilà tout.

Je plaide donc pour un retour à la règle du prononcé. Je plaide pour que la déontologie professionnelle du journalisme ne s’effondre pas dans le goût du buzz à n’importe quel prix et dans l’interprétation purement inventée des variations d’un texte. Mais je sais que je perds mon temps. En temps de guerre on sait quel est le rôle de la presse de l’officialité depuis toujours. « Le Monde » qui n’a jamais couvert une seule fois en dix ans mes alertes sur l’Ukraine ni sur aucun sujet international et s’est toujours contenté de m’habiller des habits dérisoires des obsessions atlantistes n’allait quand même pas se mettre en cause ! Et comme à chaque saison son costume, après Le Venezuelaaaaa, Cubaaaaa, et évidemment la Chine, voici l’heure où je dois occuper le rôle du méchant poutinien dans le Disneyland de l’officialité atlantiste. Le lecteur est une brave bête à qui on doit donner son picotin quotidien pour bien penser. D’ailleurs il paye pour ça, non ? Voila donc de quoi le distraire un instant. 

« Prenons de la hauteur, pour mesurer le désastre dans lequel nous sommes plongés à ce moment

Le GIEC annonce des changements irréversibles dans le climat : la moitié de l’humanité et de la biodiversité sont menacés. Mais nous sommes cloués dans sur un conflit qui peut dégénérer en guerre nucléaire détruisant plus vite encore l’humanité toute entière.

James Webb, le plus puissant télescope que l’humanité ait jamais construit, est entré en fonction aux limites de l’orbite de notre planète. Mais il nous faut avoir pour notre prioritéest de surveiller depuis l’Espace des mouvements de camions militaires.blindés.

L’humanité est ainsi plongée dans une régression consternante.

Car en une nuit d’invasion le gouvernement nationaliste de la Russie vient de nous ramener au 19éme siècle, quand les différents entre puissances se réglaient par la guerre. Il De nous ramener au 20eme siècle quand toute guerre en Europe devenait mondiale.

Quelles que soient les causes de l’invasion de l’Ukraine – et nous en connaissons la longue genèse dans la politique d’extension de l’OTAN –rien ne peut l’excuser. Ni la relativiser. 

La menace que contient cette invasionqu’elle contient – celle d’une guerre mondiale totale – en fait un crime contre l’intérêt général humain de notre temps. Le gouvernement de monsieur Poutine en porte la totale responsabilité puisque c’est lui et personne d’autre qui est passé à l’acte.  

De la sorte, – la politique est faite de réalité –. De ce fait, l’honneur de la condition humaine est dans la résistance des Ukrainiens. Mais elle est aussi est dans la résistance dans celle des Russes eux-mêmes, ceux qui manifestent contre la décision de guerre de leur propre pays. 

Ils témoignent pour l’aspiration humaine universelle à la paix. Ces manifestations nous donnent un modèle d’action. Elles minent politiquement la cohésion de l’appareil de décision gouvernemental russe. Dès lors, ne l’oublions jamais : le peuple russe n’est pas notre ennemi. Nous, français, ne le confondons pas avec le régime nationaliste en place.  

Nous savons désormais dans quelle alternative nous sommes enfermés. Aucune participation à la guerre ne pourrait rester limitée. Action et réaction s’enchaineraient et sans limite.

Face à une puissance nucléaire comme la Russie, la destruction nucléaire générale serait est l’horizon prévisible. D’ailleurs, monsieur Poutine n’a pas hésité à en menacer lui-même le monde. Dès lors, si frustrant que cela soit, le seul chemin rationnel est celui de la paix. Il porte un nom clair : la désescalade.

Si frustrant que ce soit, l’alternative reste simple : ou bien la diplomatie ou bien la guerre totale. Tout doit aller à la diplomatie et rien – si peu que ce soit – à la guerre. 

Méfions-nous des solutions improvisées et des conforts de postures. Les moyens que nous employons ne doivent jamais pouvoir se retourner contre nous. 

Pourtant l’union européenne a décidé, je cite, de « fournir des armements nécessaires à une guerre » selon les termes du commissaire Josep Borrell chargé des relations extérieures. Cette décision ferait fait de nous des co-belligerants. Un engrenage s’enclenche. Avec quelle légitimité ?  Quand notre parlement l’a-t-il décidé ? Pourquoi avoir rompu ce que le commissaire Borrel a lui-même qualifié de « tabou de l’histoire de l’union » à savoir « ne jamais fournir d’armes à des belligérants » ? 

Orienter ces armes à partir de la Pologne, terre d’OTAN, n’est-ce pas se mettre à la merci de toutes les provocations des parties prenantes au conflit ? 

Couper le circuit financier Swift n’est-ce-pas engager une escalade mondiale en poussant russes et chinois à utiliser désormais exclusivement leur propre circuit ? Quel avantage pour la paix ?   

Mieux vaudrait prendre plutôt une initiative diplomatique radicale.

C’est-à-dire accepter de traiter franchement, directement, le fond du problème posé : la sécurité de chaque nation en Europe. Cette question est restée ouverte après l’implosion de l’URSS puisque pour la première fois dans l’histoire contemporaine un empire s’est effondré sans qu’on discute les nouvelles frontières.  

C’est possible. L’outil existe. Il faut pour cela ouvrir une session extraordinaire de l’Organisation de la sécurité et de la coopération en Europe (OSCE) organisation créée pour cela par les accords d’Helsinki en 1975. Ce moyen existe. Déclenchons-le.

La solution existe aussi. C’est la proclamation de la neutralité de l’Ukraine. Le président Zelenski s’y est dit officiellement prêt. D’ailleurs cette neutralité avait été adoptée par le parlement de l’Ukraine en 1990 le jour du vote de sa déclaration de souveraineté par 339 voix contre 5. Cette déclaration dit, je cite, que l’Ukraine Celle-ci « déclare solennellement son intention d’être un État perpétuellement neutre qui ne participe à aucun bloc militaire. « 

A cette heure, il s’agit de rendre la diplomatie plus profitable que la guerre. Il s’agit de contraindre à la négociation. Et si l’offre était faite, la contrepartie pourrait être le cessez le feu immédiat pour que cesse le martyr des Ukrainiens.

Disons encore qu’une telle négociation est de notre intérêt le plus direct comme français. Car nous aussi nous avons des revendications de sécurité. La première est de voir interdire l’installation de missiles de moyenne portée capable d’atteindre la France depuis le sol de la Russie ou de ses alliés. 

En toute hypothèse, nous venons de toucher du doigt les limites de la doctrine de dissuasion nucléaire « terrestre ». Je dis bien « terrestre », face à un adversaire résolu, car le « tout ou rien » enferme clairement dans le « rien » si on n’est pas prêt à se faire sauter soi-même. La guerre d’Ukraine nous oblige donc à repenser beaucoup sur nous-mêmes. 

La dénucléarisation du monde doit devenir un objectif concret de notre diplomatie puisque la surenchère nucléaire ne peut plus avoir de sens concret. La guerre d’Ukraine vient de le prouver. Souvenons-nous à cet instant du nombre des conflits de frontières qui s’expriment d’une façon ou d’une autre sur le sol du vieux continent. 13 pays sont concernés. Soit le un quart des nations Etats du vieux continent européen

Cela prouve combien il vaudrait mieux convoquer à temps une conférence européenne des frontières Elle permettraitqui permette de définir les modalités de règlement de chaque cas, et d’établir ainsi une doctrine partagée par tous.   

La crise que nous vivons interroge toutes les certitudes et les doctrines passées. issues des proches périodes précédentes.

A l’ONU dans le vote sur la résolution à propos de l’Ukraine, notons l’abstention de l’Inde et de la Chine, de l’inde. C’est-à-dire de là  50 % de l’humanité. C’est un signal d’une extrême importance. Un autre ordre géopolitique du monde s’installe déjà, à partir de l’Asie.

Il est temps alors d’actualiser nos conceptions. Nouvel ordre, nouvelles appréciations, nouvelles méthodes.   

Le régime nationaliste russe actuel agit comme un capitalisme oligarchique autoritaire. L’invasion de l’Ukraine signe une nouvelle carte d’identité après trente ans de mutations continues. De même, s’en est terminé du « nouvel ordre mondial » annoncé par George Bush en 1991 à la veille de la guerre d’Irak. Le déclin des USA ouvre une ère d’incertitudes. Elle sera leLe moment est entré dans le temps d’une réorganisation générale. Poussés dans les bras l’un de l’autre par la stratégie des USA, Russie et Chine font émerger un nouveau bloc. Hélas, nous avons été incapables de promouvoir l’Europe de l’Atlantique à l’Oural ! Est-il trop tard ? 

Dans ce nouveau contexte, les automatismes et les allégeances du passé ont-ils un intérêt pour les Français ? Je ne le crois pas. Il y a mieux à faire. Nous pouvons jouer un grand rôle dans le nouvel ordre des choses. 

Pour cela il y a une préalable évident : le non-alignement est notre intérêt. Dans la situation mouvante de notre temps et les chocs d’intérêts croisés, nous ne devons être les supplétifs obligés de personne. La sortie de l’OTAN, organisation inefficace qui participe par sa volonté d’expansion aux tensions guerrières sur notre continent. Je déplore qu’en pleine crise on continue de recommander l’adhésion de plusieurs pays sensibles à cette alliance.   

Bien-sur, il est entendu que « non alignement » ne signifie pas neutralité. Le choix systématique de la paix fait de la France une force commise d’office, dans chaque cas,la met du côté du droit international. En Ukraine Ce droit est du côté de l’Ukraine.des ukrainiens.

Non alignés, nous serons libres pour mener une diplomatie vraiment altermondialiste. C’est la nécessité de ce siècle de crise climatique planétaire. Il s’agit de faire émerger en politique un peuple humain conscients de sa communauté de destin. Car le droit international reste à produire dans de nombreux domaines. Notamment pour la gestion des biens communs de l’humanité.

D’une faiblesse, d’un malheur, faisons une force. La crise en cours comporte tous les risques mais aussi tous les moyens d’un rebond positif. Ne laissons pas la crise ukrainienne s’enfoncer dans l’enlisement général.

Attention ! Les postures de « va-t-en guerre » pullulent toujours autour des conflits. 

Mais l’action politique démocratique à toutes les échelles n’est rien d‘autre qu’un effort toujours recommencé pour régler par la discussion et la décision collective la violence des conflits qui divisent la société. 

La démocratie reste un choix d’optimisme politique. 

En Ukraine nous jouons notre capacité à prouver que c’est la meilleure méthode . 

A cette heure, c’est la démonstration que nous devons en faire à propos de la crise de l’Ukraine. 

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